Dans cette série – Passeport pour la liberté – Nicolas Jutzet part sur le chemin de la liberté, à la découverte des alternatives aux États modernes. En donnant la parole aux acteurs du terrain, et en mobilisant la littérature existante, la série permettra à chacun de suivre des aventures passionnantes. Dans le quatrième épisode, nous nous intéressons à une micro-nation terrassée par la pandémie : la Principauté de Hutt River.
Novembre 1969. Leonard George Casley, agriculteur vivant à Hutt River – dans l’État d’Australie-Occidentale – ne décolère pas. Le gouvernement vient de décider d’imposer des quotas de production de blé. Problème, le quota fixé est largement inférieur à sa production habituelle. Et de loin ! Il a vérifié, il produit en moyenne vingt-cinq fois plus que la quantité qui sera désormais autorisée. Cette nouvelle restriction risque de condamner financièrement son domaine, situé à 517 kilomètres au nord de Perth. Dans un premier temps, il tente de manifester son courroux par voie officielle. Mais rien n’y fait, Sir Leonard Kendrew, le gouverneur de Perth, ne veut rien savoir. La décision est prise, elle sera appliquée. Aux paysans de s’adapter, en rachetant du terrain ou en changeant de métier. C’est décidé, Leonard Casley refuse d’accepter ce dictat. Il tient à sa production de blé et à sa liberté. S’il est impossible de négocier, il faut s’en aller. S’ensuit une «jacquerie» pour le moins originale : Casley fait sécession. Le 21 avril 1970, naît une nouvelle micro-nation, la Principauté de Hutt River. Il justifie son acte en se basant sur son interprétation du «Treason Act» de 1495, une loi britannique qui l’autorise à s’opposer au Commonwealth d’Australie, et à faire allégeance directement à la Reine Elisabeth II. Désemparé, le gouvernement local demande de l’aide à l’État fédéral. Ce dernier finit par confirmer qu’une intervention serait contraire à la Constitution et que cette affaire de sécession ne regarde que l’État d’Australie-Occidentale, qui doit la résoudre lui-même. Face à l’absence de réaction, la Principauté de Hutt River juge qu’à défaut d’une reconnaissance officielle, son interprétation de la loi est confirmée de façon indirecte. Le frondeur Leonard George Casley est élu «Prince Leonard 1er» par les 23 habitants de la micro-nation, qui choisissent d’instaurer une monarchie constitutionnelle.
Loin d’être un territoire marginal, la Principauté Hutt River s’étale sur une superficie de 75 kilomètres carrés. De fait, rappelle Bruno Fuligni «le ranch de Casley est plus grand que la république de Saint-Marin, il couvre cinquante fois la superficie de la Principauté de Monaco, cent cinquante fois celle du Vatican». Sa devise «Dum spiro, spero» – tant que je respire, j’espère – rend hommage à ce souffle de liberté. Car comme l’indiquait Bertrand Lemennicier «Le droit à l’auto-détermination des individus (et non des hommes d’État) qui choisissent l’État auquel ils veulent s’associer est un principe de liberté individuelle essentiel. Il implique le droit de sécession». La création de la Principauté de Hutt River est par nature une démarche de liberté.
Comme pour d’autres, l’indépendance de la micro-nation n’est reconnue, ni par l’Australie ni par d’autres États souverains. Après cette première étape, vient peut-être la plus difficile. Faire admettre que cette déclaration d’indépendance s’accompagne de la fin de l’obligation de payer des impôts en Australie. Après une longue bataille – qui a vu la Principauté excédée déclarer officiellement la guerre à l’Australie durant quelques jours avant de se rétracter – le fisc australien finit par mettre un terme à ces assauts et cesse de demander des comptes aux Casley. Ici encore la bataille est gagnée principalement par défaut. La ténacité paie et suscite des vocations à travers l’Australie. D’autres micro-nations comme le Royaume de Bumbunga ou l’État indépendant de Rainbow Creek tenteront de suivre le même chemin, sans toutefois parvenir à le faire de façon viable.
Une attraction touristique
Cette drôle de micro-nation attire rapidement un flux conséquent de touristes, curieux d’en savoir plus sur ce territoire atypique mais si rebelle. Ce succès est d’autant plus étonnant que la Principauté n’a pas d’attraction touristique à proprement parler – en dehors d’une statue qui représente le «Prince Leonard 1er» et quelques autres objets folkloriques. Pourtant, dans les meilleures années, c’est parfois plus de 60’000 personnes qui s’y rendent. Bruno Fuligni explique cette performance par le fait que les attractions touristiques sont peu nombreuses en Australie : «la frontière bornée de vieux pneus de tracteur, la salle du trône d’un kitsch achevé, ne font que renforcer l’attrait de cette monarchie nouvelle». Cette réussite touristique s’accompagne d’une explosion du nombre de double-nationaux de la Principauté de Hutt River – pour la modique somme de 60 dollars, il est possible de devenir «e-citoyen» de la Principauté. Si la population permanente présente sur place reste stable, le nombre de citoyens à distance grimpe continuellement pour atteindre les 25’000 personnes. Ces revenus, ainsi que ceux issus de la vente de souvenirs et de timbres aux touristes, remplissent les caisses de la micro-nation. Fort de cet essor, le Prince devient, au fil des ans, une figure populaire dans la région, s’attirant même la sympathie d’une partie des politiciens locaux.
La pandémie met un terme à l’aventure
Avec l’âge, la belle aventure s’essouffle et le vent tourne. En février 2017, à 91 ans et malade, Prince Léonard cède le trône à son plus jeune fils Graeme. Peu après, tombe une décision qui sera fatale à l’aventure. Suite à une longue procédure, en juin 2017, Leonard Casley est condamné par la Cour Suprême d’Australie occidentale à verser 2,7 millions de dollars d’impôts impayés. Le 13 février 2019 le Prince Léonard s’éteint. La Principauté est en grande difficulté, sa pérennité est menacée. À la fin de l’année 2019, elle annonce faire une pause, en fermant ses frontières aux touristes dès la fin janvier 2020 et jusqu’à nouvel ordre. Finalement, le 3 août, le Prince Graeme informe les médias que la Principauté va être dissoute et le terrain vendu pour pouvoir payer les dettes. Après un demi- siècle, la plus ancienne micro-nation d’Australie n’est plus.
L’auteur de la série, Nicolas Jutzet, nous écrit de Saint-Gall (Suisse)