Victor Fouquet est doctorant et enseignant en fiscalité et finances publiques à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il est par ailleurs chroniqueur en économie politique à la revue Conflits. Il est auteur – avec Jean-Baptiste Noé – du livre «La révolte fiscale: L’impôt : histoire, théories et avatars».
Quel intérêt aurait l’introduction d’une «flat tax» ?
L’impôt à taux unique ou proportionnel (ou flat tax) est l’archétype de la technique fiscale libérale, pour des raisons éthiques avant d’être économiques. Contrairement à l’impôt progressif, qui conduit à infliger autoritairement des taux d’imposition croissant avec le niveau de revenu, la flat tax assure grâce à l’unicité de son taux le respect de l’égalité de tous devant la règle de droit. Avec un impôt progressif, le risque existe qu’une majorité électoralement toute puissante soumette la minorité (dite «de riches») avec une force d’autant plus tyrannique que ses membres ne sont pas eux-mêmes assujettis aux taux qu’ils infligent au groupe minoritaire. Avec une flat tax, au contraire, la coercition ne peut être utilisée pour faire vivre des catégories de citoyens aux dépens des autres. Corrélativement, en garantissant une meilleure répartition de la charge fiscale, la flat tax a économiquement le mérite de gommer les effets les plus désincitatifs de l’impôt.
Trois remarques cependant. D’abord, les systèmes de flat tax mis en place prévoient le plus souvent un abattement à la base (exception faite de la Géorgie), qui exonère de l’impôt les contribuables les plus démunis, de sorte que se trouve réintroduite une dose de progressivité. Ensuite, on fera remarquer qu’un impôt modérément progressif est sans doute préférable à une flat tax à taux unique excessif. Enfin, d’après la jurisprudence constitutionnelle, l’impôt sur le revenu doit revêtir un minimum de progressivité. La position du Conseil constitutionnel est certes d’autant plus curieuse qu’elle se fonde sur la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, dont l’exégèse appelle incontestablement un impôt proportionnel ! Quoi qu’il en soit, sauf à inscrire le principe dans la Constitution, un projet de flat tax aurait toutes les chances d’être déclaré inconstitutionnel en France.
Dans votre livre – «La révolte fiscale: L’impôt : histoire, théories et avatars» – vous abordez l’héritage intellectuel de Frédéric Bastiat, qui rappelle notamment qu’il y a toujours «ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas». Un exemple de l’application de cette maxime en lien avec les impôts ?
Gardons l’exemple de l’impôt progressif sur le revenu. Les tenants de la progressivité de l’impôt aspirent à la redistribution des revenus et à l’égalisation – plus ou moins poussée – des situations matérielles individuelles. La redistribution des revenus par le biais de taux progressifs, c’est effectivement «ce qu’on voit». «Ce qu’on ne voit pas», en revanche, ce sont les effets induits et les changements de comportement des agents économiques consécutifs à un impôt trop progressif proche pour certains de la confiscation. Or, en l’espèce, si l’on tient compte de «ce qu’on ne voit pas», on devine qu’un État désireux d’accentuer le caractère redistributif de l’impôt risque de contrarier ses objectifs «sociaux» en pénalisant la productivité de l’activité économique, et en se privant par conséquent des recettes fiscales escomptées.
Le consentement à l’impôt peut-il exister ?
Un impôt consenti est par définition un impôt accepté par celui qui le paie. Et pour qu’il puisse l’accepter, encore faut-il que le contribuable soit capable d’identifier – même grossièrement – la contrepartie des services que lui procure la puissance publique en échange de l’impôt qu’il acquitte. Lorsque le contribuable estime que la sphère publique lui coûte bien davantage qu’elle ne lui rapporte (et aussi davantage que ce qu’il peut de plus en plus facilement trouver sur le marché), l’adhésion au système fiscal tend à diminuer. Le consentement à l’impôt suppose par ailleurs que le contribuable ne soit pas perdu dans le maquis de la complexité qui, non seulement lui coûte cher, mais le détourne de ses tâches productives. Dans notre système fiscal actuel, c’est peu de dire que la transparence et la simplicité font largement défaut !
Est-ce que la fiscalité moderne, par sa complexité et ses nombreuses niches fiscales, n’empêche pas par nature les révoltes fiscales, car elle rend la révolte individuelle ?
La révolte fiscale peut prendre différentes formes, et n’appelle pas nécessairement de grands mouvements populaires comme celui des «Gilets jaunes». S’abstenir de fournir un effort supplémentaire de travail, frauder, s’exiler, chercher à répercuter le poids de l’impôt sur autrui sont autant de manières actuellement très répandues de se révolter contre un système d’imposition jugé illisible pour les uns, confiscatoire pour les autres !
PODCAST Librairie de Liber-thé : notre analyse du livre «La révolte fiscale: L’impôt : histoire, théories et avatars».