Deirdre McCloskey est professeure d’économie et d’histoire, à l’Université de l’Illinois à Chicago.
Si on devait résumer le libéralisme, par opposition au conservatisme et au socialisme ?
En un mot, le libéralisme, c’est le contraire de l’esclavage. C’est-à-dire qu’aucun adulte non délinquant ne doit être soumis à la contrainte physique d’une autre personne. Un criminel est quelqu’un qui en contraint un autre – un mari qui contraint sa femme, un gangster qui contraint le propriétaire d’un magasin, un bureaucrate qui contraint un citoyen. Parfois, il est vrai qu’un peu de coercition est nécessaire : contre les criminels, et pour percevoir les impôts qui permettent de réaliser quelques projets publics – comme arrêter un fléau ou une invasion. Un autre mot pour le libéralisme serait «l’adultisme». Nous devons traiter tout le monde comme des adultes libres, égaux les uns aux autres en termes de droits. C’était une idée entièrement nouvelle au XVIIIe siècle, et elle s’est maintenant répandue dans le monde. Du moins, dans la rhétorique officielle. Il ne s’agit pas d’une égalité de revenus ou de chances, mais d’une égalité de droits. Vous devez être autorisé à échanger et vous associer avec qui vous voulez. Par exemple, vous devez avoir le droit d’exercer la profession que vous souhaitez, si les gens vous paient volontairement pour vos services. L’État ne devrait pas délivrer de permis pour être médecin par exemple. Dans un monde vraiment libre, des organismes privés pourraient certifier la qualité des médecins, comme ils le font aujourd’hui pour les autres biens et services. Les libéraux ne sont pas des anarchistes. Les libéraux veulent que la coercition soit la plus réduite possible, en donnant aux gens la dignité d’être traités comme des adultes libres.
On associe parfois le libéralisme et le conservatisme, quelles sont les différences ?
Ceux qui associent les deux sont induits en erreur par un axe unidimensionnel opposant la gauche et la droite. Cette opposition avait un sens lorsque la question principale était de savoir si nous devions ou non soutenir les valeurs libérales de la Révolution – si nous aimions la liberté, l’égalité et la fraternité ou le roi, le pays et l’Église. Mais aujourd’hui, nous sommes tous des enfants de 1789, qu’il s’agisse des libéraux qui naviguent en dehors de ce spectre binaire, ou des socialistes, des conservateurs et autres centristes, qui s’inscrivent totalement dans ce modèle d’opposition gauche-droite. Les gens veulent de la simplicité, et situer tout le monde quelque part selon ce spectre facilite la lecture. Ils sont perplexes lorsque les rares libéraux disent qu’ils favorisent à la fois une économie moins réglementée (à droite) et une vie sociale non réglementée (à gauche). Si les gens perplexes sont de gauche, ils placeront les libéraux à droite, car ils détestent l’idée d’une économie libre. Si au contraire les réactions sceptiques viennent de la droite, ils verront d’un mauvais œil les libertés sociétales, qu’ils abhorrent, et placeront donc les libéraux à gauche de l’échiquier politique. Aucun de ces deux groupes ne s’arrête pour écouter le libéral qui leur dirait « Mes chers, comprenez que la liberté c’est la liberté. Je défends une société sans esclaves, qu’ils soient esclaves de leurs maris ou de l’État. Je suis en faveur du régime des permissions libérées, ou du type de celui que les armées de la Révolution ont imposé aux conquêtes allemandes et italiennes, en interdisant par exemple les corporations qui limitaient les permissions de travailler.
En quoi les socialistes et les conservateurs sont-ils similaires ?
Les deux sont des mouvements étatistes, soit l’exact contraire du libéralisme. Tous deux sont favorables à l’utilisation du monopole de l’État pour interférer de façon coercitive dans la vie des gens. Le socialiste préfère réduire votre liberté de commercer, celle d’acheter et de vendre ce que vous voulez. Il veut des syndicats, des protections, des grèves, la lutte contre le «Capital». Les conservateurs aiment également réduire votre liberté. Ils veulent des interdictions, le contrôle des écoles par l’Église et la lutte contre les étrangers, ou décider qui a le droit de se marier avec qui.
Sur le plan politique, les libéraux s’engagent parfois aux côtés des conservateurs. Pourquoi ?
Parce que nous, libéraux, partageons des ennemis avec nos amis de droite et de gauche. Nous partageons avec la droite un dégoût pour «l’opium des intellectuels», le marxisme et ses cousins coercitifs. Nous partageons aussi avec la gauche un dégoût pour l’anti-Dreyfusisme et ses cousins coercitifs. Contrairement à nos amis et ennemis qui se déplacent sur ce spectre gauche-droite, nous détestons la coercition et chérissons la liberté. Nous ne sommes pas des anarchistes, et nous sommes d’accord sur le fait qu’au début d’une invasion, d’un incendie de forêt ou d’un fléau, la coercition peut être efficace, et qu’elle peut se justifier, car elle ne représente pas une grande intrusion dans la liberté. Mais la gauche, la droite et le centre aiment la coercition par principe, et s’habituent à en user.