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Le retour des philosophes – John Locke

Dans cette série, Benjamin Faucher imagine des philosophes libéraux revenir à la vie dans notre époque et les fait réagir sur des évolutions contemporaines. En 2021, quelle serait leur réaction ? Sixième épisode : John Locke et la propriété privée.

– Vous n’avez pas honte de défendre des gros propriétaires comme ça ?

John Locke regarda à sa droite, d’où la question avait fusé. Une jeune journaliste s’était levée et le regardait avec des yeux furibonds. Il avait l’habitude de ce genre de question. Depuis qu’il était revenu dans le XXIe siècle, il avait choisi d’endosser la robe d’avocat fiscaliste, et n’en était pas à sa première conférence de presse. Au moins, cela lui permettrait de se préparer pour son interview du lendemain sur BFM TV. Ou à la tornade qui menaçait sur les réseaux sociaux.

– Pourquoi, vous avez un problème avec la propriété privée ? demanda l’intéressé, un brin malicieux.

– Pas du tout, mais c’est la loi et l’État qui fixent les limites de la propriété privée, par conséquent il devrait être normal que votre client ne cherche pas à faire de l’optimisation fiscale.

Plusieurs personnes acquiescèrent dans l’assemblée. Visiblement, il avait encore peu de journalistes acquis à sa cause. L’optimisation fiscale avait mauvaise presse ici… Ce n’était pas un problème, il aimait ce genre de joute verbale.

– Vous savez, l’optimisation fiscale n’est pas répréhensible mais même sur le fond, je ne suis pas d’accord avec vous, répondit Locke. Certes l’État met en œuvre les politiques qui permettent de garantir le droit de propriété mais il n’en est pas la source. Je pense au contraire que le droit de jouir de ses propres biens est une loi naturelle qui précède celle des hommes. La raison nous a permis de découvrir ce droit naturel et la loi se doit de le protéger.

– Mais votre client ne mérite pas toutes les richesses qu’il possède, personne ne devrait avoir le droit d’avoir autant ! Comment pouvez-vous justifier une telle appropriation ?

– Au contraire, mon client n’a récolté que le fruit de son travail. Mon client, comme n’importe quel individu, est propriétaire de son corps et de ses mains, vous me le concédez ? Eh bien, poursuivit-il sans laisser à la moindre réponse l’occasion d’être formulée, l’homme en travaillant mêle son travail à son capital et en acquiert par extension le droit de propriété. Mais je veux bien vous concéder qu’il doit exister des limites. Notamment, celui qui détient un droit de propriété doit en faire usage. Celui qui s’approprie des choses sans les utiliser empêche les autres de pouvoir les travailler, ce serait donc un gâchis.

John avait déjà théorisé tout ça dans son Second traité du gouvernement civil. Peut-être cette journaliste devrait-elle jeter un coup d’œil dedans. Un autre journaliste l’interpella du fond de la salle. Petit, la quarantaine, un peu bedonnant, il affichait un air revêche et une moue de dégoût.

– Donc pour vous, le rôle de l’État est inexistant ?

– Pas du tout mais son pouvoir doit être limité. Si chacun a le droit de jouir des fruits de son travail, il faut bien un pouvoir exécutif qui en garantisse une jouissance paisible, un arbitre en quelque sorte. Lui seul est habilité à avoir le recours de la force, mais cet usage doit absolument être limité, notamment en le soumettant au pouvoir législatif. Il est hors de question que l’État utilise la force pour s’occuper d’autre chose, comme réguler le commerce par exemple. Ou encore utiliser le droit pour faire de la morale, ce qui devrait rester du domaine privé. D’ailleurs ce sont ces principes qui permettent de protéger les plus faibles. En limitant le pouvoir de l’État à la protection de la propriété naturelle, on l’empêche de s’immiscer de façon inique dans la vie des individus et de se mêler de morale, qui doit rester une affaire privée.

– En somme, vous défendez votre client au nom d’une conception ultra-libérale de la société ?

– Ultra-libérale non ! Mais qu’avez-vous donc tous avec ce mot ? Libéral classique est amplement suffisant vous savez, cette tradition de pensée qui a plus de deux siècles d’existence ? C’est-à-dire que je considère que la liberté individuelle est primordiale et qu’il faut construire les outils qui permettent de la garantir. Comme la propriété privée.

L’auteur de la série, Benjamin Faucher, écrit de Paris (France)

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