Dans cette série – Les combattants de la liberté – nous donnons la parole à des acteurs du terrain, partout dans le monde, afin qu’ils racontent les défis pour la liberté dans leur pays. Dans cet épisode, Nicolas Perini, coordinateur de Students for Liberty, nous parle du débat lié à l’avortement en Argentine.
Les combattants de la liberté – Argentine– Épisode 2
Dans l’article précédent, nous avons tenté d’esquisser certaines grandes lignes de ce qui se passe dans la vie quotidienne des Argentins, en particulier ceux qui défendent le libéralisme. Les restrictions des libertés individuelles ont été nombreuses, ce qui a poussé de nombreuses personnes, des libéraux ou simplement des défenseurs de la République, à manifester contre ces mesures d’ingérence étatique, d’atteinte aux droits naturels de la population et d’abus d’autorité.
Mais, de manière générale, les idées de liberté sont beaucoup plus discutées depuis quelques temps. Il est difficile de comprendre comment, au cours des deux dernières années, des discussions qui semblaient impossibles à mener, ont réussi à émerger. Les médias, les partis politiques, les intellectuels et les gens ordinaires ont commencé à aborder des thématiques en mettant en avant l’individu et ses particularités, surtout lorsque celles-ci sont attaquées et réglementées par les institutions. Si la pandémie y a contribué et nous a fait prendre conscience que nous faisons partie d’un monde, les enjeux libéraux ont surtout émergé lors des débats sur la légalisation de l’avortement.
Vous vous demandez probablement pourquoi il est nécessaire d’écrire sur l’avortement et de le prendre comme exemple de la bataille pour les idées libérales dans un pays qui limite de plus en plus la liberté. Les gens se mobilisent pour la liberté lorsqu’ils font face à l’indifférence de la part des autorités. De ce point de vue, le débat de tranchée sur le droit à l’avortement, impulsé en 2018 déjà par le gouvernement de centre-droit et entré en vigueur en fin d’année dernière, a peut-être été un tournant dans la lutte des Argentins pour la liberté.
Au sein des libéraux, le débat a aussi eu lieu. Les deux positions se retrouvent : ceux, favorables, qui défendent le libre choix de la femme et ceux, défavorables qui défendent les droits du fœtus à naître. Dans les deux cas, la justification réside dans des idées de liberté. L’exemple de l’avortement fait prendre conscience qu’au-delà de la position philosophique, nous sommes tous d’accord sur la non-soumission à l’État et la distance à l’égard d’un gouvernement et d’idéologies qui n’utilisent ce projet que de manière électorale.
Je veux dans cet article faire référence ici aux conflits internes au sein des diverses familles politiques en particulier et, comme c’est notre point d’intérêt, au sein du libéralisme. La question s’est en effet avérée très controversée. Nous ne pouvons pas ignorer le fait qu’il existe des libéraux tant pour, que contre l’avortement. Dans le libéralisme, la vie, la liberté individuelle et la propriété privée, sont trois droits naturels qui, depuis la publication du Second Traité du gouvernement civil de Locke, sont à la base de toutes les discussions auxquelles nous participons. Ces concepts peuvent cependant faire l’objet de différentes interprétations selon la situation. Récemment, on a pu entendre des références à Ayn Rand ou Murray Rothbard, ce qui témoigne du niveau de l’argumentation des débats.
L’avortement remet en cause l’importance de certains droits, leur prépondérance et leur hiérarchie, ainsi que la conception de la vie dans tout son être, les moments précis de sa réalisation comme des nécessités fondamentales de la légitimité ou non d’un meurtre particulier, de l’aboutissement d’une vie, d’un parasite ou d’une accumulation de cellules. En Argentine, les libéraux sont en grande majorité contre l’avortement, mais cela ne les empêche pas de reconnaître que beaucoup y sont favorables. Ce qui permet une intéressante multiplicité de postulats et de raisons. L’avortement émerge du plus profond de chacun d’entre nous, libéraux ou non, comme un point de départ pour réfléchir à nos propres différences, mais cela ne peut nous permettre de nous détacher de la lutte pour les idées de liberté que nous possédons tous. Le libéralisme n’est pas en mesure de porter une bannière ou une autre, mais il est en mesure d’offrir les arguments, de part et d’autre, qui font tant défaut dans les discussions officielles.
Si la question de l’avortement est une opportunité de débattre, elle ne doit pas nous diviser. La famille libérale n’est, de plus, pas exempte de divergences d’opinions : par exemple, certains prônent l’apogée de l’État et l’anarcho-capitalisme, tandis que d’autres ne veulent qu’un petit État, typique du libéralisme classique.
Même s’il n’y a (je crois) aucun autre sujet qui divise autant, nous devons nous unir pour lutter contre les outrages étatiques et poursuivre notre quête de limitation de l’étendue de l’État et de protection contre les atteintes aux 3 droits naturels : la vie, la liberté individuelle et la propriété privée. Se mobiliser et lutter pour la liberté en Argentine, c’est bien plus que simplement défiler pour ou contre l’avortement, les restrictions de l’État, la libération des prisonniers, la prise de contrôle du pouvoir judiciaire ou l’ouverture des commerces ; c’est être au jour le jour, des « libéraux du quotidien » à la recherche d’un présent et d’un avenir meilleurs. Jour après jour, des milliers de personnes apportent leur grain de sable, même si elles ne savent pas qui est Hayek, Mises, Locke ou tout autre auteur. L’important, je crois, est de trouver le moyen de pouvoir jouir de la liberté au quotidien et non pas simplement comme un avenir de plus en plus lointain, comme c’est le cas aujourd’hui.
Sur ce sujet, vous pouvez ré-écouter notre podcast «my body, my choice»