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Protéine animale ou végétale : le consommateur aura le dernier mot

Dans cette série Constance Péruchot nous parle de la libération des animaux. Pour elle, l’on ne peut libérer les animaux que si l’on comprend sa propre liberté. Épisode 3, le rôle du consommateur et des entreprises.

Sur le site gouvernemental français pour la nutrition, une rubrique sur la viande débute par cette question «Pourquoi en consommer ? Parce que la viande et la volaille nous apportent des protéines de bonne qualité ainsi que du fer». Les carences : voici un argument bien courant des consommateurs de viande pour ne pas remettre en question leurs habitudes alimentaires. Devenir végétarien, végétalien ou végan, c’est se heurter automatiquement aux inquiétudes d’une partie de la population qui place la viande à la base de l’alimentation humaine.

S’il est vrai que la viande contient une quantité importante de protéines, il ne s’agit pas du seul aliment qui puisse combler ce besoin. Et d’ailleurs, les recommandations nutritionnelles de nombreux pays préconisent d’en limiter la consommation à cause des risques qu’elle présente pour la santé. Ainsi, l’Organisation Mondiale de la Santé reconnaît que la consommation de viande rouge (bœuf, veau, porc, agneau, cheval, etc.) et de viande transformée (produits à base de viande comme les saucisses, la charcuterie, etc.) est associée de façon plus ou moins importante à une augmentation notamment du risque de maladies cardiovasculaires et de cancer colorectal.  Malgré ces connaissances, une donnée semble plus forte que les conseils nutritionnels sur la viande : la valeur culturelle qu’on lui accorde.

Le marketing de l’industrie de la viande a fait preuve en la matière d’un discours clair : la viande rend fort. L’univers de la viande joue ainsi beaucoup sur une image de l’homme viril, athlétique et sûr de lui, dont l’aliment de prédilection est une pièce de viande rouge. Les publicités de la marque française Charal ont longtemps été ponctuées d’un cri bestial. Une publicité utilisait aussi la phrase «Depuis combien de temps n’avez-vous pas donné de viande à votre mari ?». Autre exemple, les restaurants Hippopotamus ont également joué dans leurs messages sur les clichés de la virilité, notamment avec la publicité laissant entendre : «Si, j’ai déjà mangé du quinoa, mais ça ne tenait pas sur le barbecue», prononcé d’une voix grave d’homme. Enfin, récemment, le grossiste allemand Steak Lieferant montrait dans une publicité un homme musclé tenant une pièce de viande crue, avec le slogan «so schön wie eine Frau» (aussi belle qu’une femme). Toutes ces représentations participent à la croyance populaire du caractère indispensable de la viande d’un point de vue nutritionnel, et culturel. La viande est mise sur un piédestal et considérée comme un aliment à part entière.

Mais plus récemment, l’industrie de la viande a commencé à replacer au cœur de son argument marketing le bien-être animal et l’aspect économique et social des produits. Mise en avant de l’élevage en plein air, d’une bonne alimentation des bêtes ou encore d’une image champêtre de l’éleveur : le consommateur doit se sentir serein en choisissant ses filets de poulets ou son morceau de bœuf dans le supermarché. Ces nouveaux arguments de vente ne sont pas le fait du hasard. Ils interviennent alors que l’industrie de la viande est bouleversée par de nouvelles gammes de produits végans ou végétariens qui se trouvent en concurrence directe avec eux.

Cette concurrence s’exprime notamment dans le fait de retrouver des codes virils : la marque Beyond Meat a ainsi choisi d’être représentée par des athlètes. Aussi, ces nouveaux produits se retrouvent sous des formes classiques de la consommation de viande, dans des burgers, des «chicken wings» végétaux, etc. Le rayon consacré dans les supermarchés est perturbant car les produits sont presque similaires à ceux proposés au rayon de la viande, en matière de couleur, d’aspect, d’emballage. La marque Herta en particulier est frappante, avec ces escalopes, steaks ou hachés au soja, montrant des suggestions de présentation identiques à celles des plats à base de viande.

Si les produits végétaux entrent en compétition de cette manière, en revanche leurs valeurs éthiques sont bien plus claires en matière de respect de l’animal, de l’environnement ou de la santé. Cependant, ces aspects sont un «bonus», parce que l’argument principal reste le caractère appétissant. Les produits répondent aux attentes de consommateurs qui viennent satisfaire avant tout leur plaisir gustatif, tout en accordant leurs convictions éthiques. En ce sens, de nombreux végétariens/végans ne se considèrent pas comme le public cible de ces produits, car ils se sont détachés des codes traditionnels de la viande. Les gammes végétales inspirées de la viande semblent attirer en priorité les consommateurs de viande qui s’en éloignent progressivement.

Face à cette nouvelle concurrence, l’industrie de la viande a entamé une guerre de l’appellation en arguant que les expressions «steak végétal» ou «lait végétal», par exemple, entraîneraient la confusion du consommateur. Ce nouveau combat est lourd du point de vue des moyens législatifs engagés, mais rassurant pour les filières végétales : l’industrie de la viande ne trouve plus d’autres outils que de batailler sur les mots. En tout état de cause, le Parlement européen a tranché en octobre dernier. D’après sa décision, les appellations «steak», «burger», «saucisse» sont acceptables pour les produits végétaux, mais pas «yaourt», «fromage» ou «crème». Assurément, cette décision ne remettra pas en cause la demande du consommateur pour ces produits.

Enfin, le prochain eldorado des alternatives à la viande est la viande cultivée en laboratoire. Cette innovation est en pleine croissance pour développer des produits à base de cellules de poulet, de bœuf, de porc. Le procédé consiste à prélever un petit morceau de tissu musculaire d’un animal vivant (de la taille d’une graine de sésame), d’en prélever les cellules musculaires et de les faire croître dans un milieu adapté en laboratoire avec les apports nécessaires à leur développement (acides aminés, graisse, sucre) pour créer une forme primitive de fibres musculaires puis des tissus musculaires et enfin, un morceau de viande.

Singapour vient d’annoncer l’autorisation de mise sur le marché de ces produits à base de cellules animales. La réaction à cette annonce du ministre français de l’Agriculture et de l’Alimentation, Julien Denormandie, a été virulente. Dans un tweet du 2 décembre, il a écrit : «Est-ce vraiment cela, la société que nous voulons pour nos enfants ? Moi, NON. Je le dis clairement : la viande vient du vivant, pas des laboratoires. Comptez sur moi pour qu’en France, la viande reste naturelle et jamais artificielle». Les nouvelles alternatives à la viande deviennent donc des batailles politiques, en plus d’une bataille marketing. Mais au-delà du fait que la cellule est bien issue d’un organisme vivant, et que la notion de «viande naturelle» est tout à fait subjective, ce tweet oublie un élément important, c’est qu’il n’arrêtera pas le progrès.

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