Dans cette série – Passeport pour la liberté – Nicolas Jutzet part sur le chemin de la liberté, en s’intéressant aux alternatives qui existent, celles qui ont existé et celles de demain, pour échapper aux États modernes. Ce récit doit permettre à chacun de suivre des aventures passionnantes et d’en apprendre plus sur les motivations de ces amoureux de la liberté.
Connaissez-vous la devise officielle de votre pays ? Nul doute qu’elle est moins convaincante que celle du Liberland, «vivre et laisser vivre». Cette micro-nation incarne la volonté contemporaine de trouver son chemin vers la liberté, en dehors des États traditionnels. Pour les citoyens déçus des institutions de leur pays, il existe diverses façons d’y échapper, adaptées à l’ambition de chacun. Certains «votent avec leurs pieds» en rejoignant simplement le pays voisin. D’autres tentent de vivre en nomades – «perpetual travelers» – pour échapper à la fiscalité et profiter des beautés du monde. Les plus ambitieux se mettent en tête de créer, parfois de toutes pièces, une alternative réelle à ce qu’ils dénoncent : leur propre nation. Toutes ces dynamiques participent à une saine mise en concurrence des institutions établies, forcées de se remettre en question.
Si vous avez envie de découvrir comment échapper à votre État, ou de savoir qui sont ces John Galt modernes qui décident de tout lâcher pour créer leur monde ou ce qui se cache derrière cette volonté radicale de «voter avec ces pieds», vous êtes au bon endroit. Dans cette série, nous partons sur le chemin de la liberté, en mettant la lumière sur les alternatives qui existent, celles qui ont existé et celles de demain, en donnant la parole aux acteurs du terrain, et en mobilisant la littérature existante. Ce récit doit permettre à chacun de suivre des aventures passionnantes, de se poser des questions et qui sait, de créer le prochain eldorado de la liberté ?
Les micro-nations, ces utopies modernes
Dans La reconnaissance des micro-nations, Stéphane-Bertin Hoffmann définit cette notion comme «une minuscule communauté humaine, installée sur un territoire donné et organisant sa vie commune par une volonté d’institutionnalisation semblable à celle que l’on retrouverait dans un minuscule État, tout en recherchant l’indépendance juridique vis-à-vis de ses voisins, desquels elle tente de se différencier». Selon le même auteur, si la constitution de micro-nations n’est pas un phénomène nouveau, il est notable toutefois que l’on assiste à une prolifération des créations depuis les années septante du siècle passé. Cette évolution doit attirer notre attention. Selon Bruno Fuligini – auteur de Royaumes d’aventure, un atlas des micro-nations d’hier et d’aujourd’hui – elle s’explique par les excès des États modernes qui, à force de vouloir réglementer nos vies, ont freiné l’esprit d’initiative. Les micro-nations portent un message d’espoir, celui d’un retour de l’imagination et de la liberté. Ainsi que de l’aspiration à mener une vie heureuse. Elles symbolisent le besoin d’alternatives aux sociétés étatiques traditionnelles. Ce faisant, elles s’inscrivent comme héritage du concept politique d’utopie développé par Thomas More dans L’Utopie – souvent cité comme étant également à la base de la réflexion de l’introduction d’un revenu de base inconditionnel. Dans son ouvrage, il décrit la mise en place d’une société idéale, qui se détacherait de la terre ferme. Ces micro-nations seraient ainsi un achèvement, une application concrète de ce stade ultime de l’utopie.
Il ne faut pas confondre ces micro-nations avec les micro-États comme Monaco ou le Liechtenstein, qui profitent d’une légitimité certaine aux yeux des autres pays. Car si une nation peut voir le jour sans grande difficulté, les obstacles restent nombreux pour devenir un État reconnu, comme nous aurons l’occasion de le voir au cours de la série. Ce qui fait dire à Bruno Fuligni qu’il s’agit de «cryptarchie» (pouvoir caché), à savoir des entités qui, bien que visibles pour tout un chacun en deux clics sur internet, sont «cachées» sur le plan juridique. À défaut d’être des États reconnus, elles s’en approprient les signes extérieurs. La plupart possèdent un drapeau, une monnaie nationale et, important pour les collectionneurs : des timbres, ou même des passeports. Ces utopies modernes cachent des destins étonnants et prennent diverses formes, de l’île artificielle (République espérantiste de l’Île de la Rose) ou réelle (République de Minerva), une ancienne et minuscule plate-forme militaire dans les eaux territoriales britanniques (Principauté de Sealand) ou un territoire inoccupé sur la rive du Danube, à la frontière entre la Croatie et la Serbie (République libre du Liberland).
Marginalisées sur le plan diplomatique, les micro-nations multiplient les artifices pour parvenir à se faire reconnaître. Dans cet exercice, elles font face à des États qui n’ont que peu d’intérêt à ce qu’elles existent. Leur légitimation entraînerait un précédent potentiellement explosif et des turbulences, notamment dans les milieux indépendantistes. Car si une nation créée de toutes pièces accédait au graal, comment ces mêmes États pourraient-ils continuer à dompter les volontés internes de sécession ? Toujours est-il qu’en attendant une hypothétique légitimation internationale, les micro-nations s’organisent. Ainsi, depuis 2015, elles ont même leur propre rencontre «au sommet», la MicroCon, convention qui réunit tous les deux ans les représentants gouvernementaux des micro-nations.
Cette volonté de créer un nouvel État et donc d’exercer une «option de retrait» (opting out) sous-entend qu’il est préférable de partir plutôt que de réformer son État actuel. Loin d’être défaitiste, ce constat s’appuie sur le fait que dans la plupart des démocraties, la marge de manœuvre des individus est limitée. Car s’il est effectivement possible de changer à la marge les institutions, le citoyen lambda n’a qu’une influence anecdotique. Pour monsieur et madame Tout-le-Monde, l’alternative la plus prometteuse à cette inertie réside donc à «voter avec ses pieds», pour rejoindre un pays qui lui correspond mieux, ou même en le créant en partant de rien.
«Sans État fixe», jouer avec les règles
Comme évoqué en introduction de cet article, une autre possibilité d’exercer une «option de retrait» existe, elle consiste à voyager sans cesse. Par sa nature instable, elle semble réservée à une infime partie des individus, ceux qui peuvent subvenir à leurs besoins sans avoir d’attache fixe. Dans le prochain épisode, nous découvrirons comment malgré la pandémie, l’année 2020 fut pour certains «perpetual travelers», un moment de liberté, passé sur un catamaran. Pour ceux qui la cherchent, une brèche finit visiblement par s’ouvrir, même quand les frontières se ferment et que les libertés fondamentales s’amenuisent. Par la suite, nous partirons à la découverte de diverses micro-nations et des univers qu’elles cachent. Finalement, nous verrons que des velléités modernistes – notamment par Elon Musk et son projet SpaceX, entreprise fondée pour aller un jour sur Mars – voient plus loin que les limites terrestres et imaginent d’ores et déjà un changement de planète. Un voyage d’une tout autre dimension.
L’auteur de la série, Nicolas Jutzet, nous écrit de Saint-Gall (Suisse)