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Pour un marché libre du cannabis en France

Dans cette série de trois articles, Kevin Brookes et Edouard Hesse proposent un tour d’horizon des expériences de légalisation du cannabis de certains pays ou régions qui ont fait le pas. Troisième épisode «Pour un marché libre du cannabis en France».

La question de la légalisation du cannabis récréatif a récemment fait l’objet d’un débat en France qui est à la fois le pays avec l’arsenal judiciaire le plus répressif en la matière, mais aussi celui où il y a le plus grand nombre de consommateurs. Ce constat met en évidence l’échec de la politique prohibitionniste. Le débat va largement au-delà des clivages partisans habituels et sévit à l’intérieur même du parti du Président de la République. D’un côté, le Gouvernement suit la logique prohibitionniste en dénonçant publiquement cette substance jugée nocive et a renforcé la présence policière pour limiter les lieux de deal et sanctionner les consommateurs (avec des amendes forfaitaires). De l’autre, une mission d’information parlementaire essentiellement composée de députés de la majorité (LREM) a récemment plaidé, dans un rapport de 300 pages, pour la légalisation de cette substance, sans trancher sur le modèle de légalisation. Mais, justement, comment légaliser le cannabis récréatif en France ? 

Dans les deux précédents articles de cette série, nous avons vu que bien que l’on puisse se réjouir qu’un nombre toujours grandissant de juridictions décident de mettre fin au dogme prohibitionniste et légaliser le cannabis, les modèles d’implémentation s’avèrent extrêmement différents. Très schématiquement, nous avons d’un côté les modèles avec régulation étatique très forte, voire un monopole étatique complet, comme le Québec, et les modèles de marché libre comme le Colorado. Comme nous l’avons vu, les premiers retours d’expérience plaident largement en faveur de ce dernier modèle, tant du point de vue des bienfaits pour les consommateurs et de la santé publique, que de la lutte contre la criminalité. C’est donc en nous inspirant de ce modèle que nous proposons dans notre rapport pour GenerationLibre les grandes lignes d’un modèle de légalisation du cannabis pour la France.

Avant d’entrer dans les détails de ce que nous proposons, il s’agit d’aborder les objectifs qui guident notre travail. Au premier rang se trouve la lutte contre le marché noir, objectif sur lequel on ne saurait trop insister. En effet s’il n’est pas atteint, la légalisation du cannabis ne pourra apporter aucun des bénéfices qu’elle promet. Si les trafics illicites perdurent, les guerres de gangs continueront et les organisations criminelles garderont cette source formidable de financement, avec toute la délinquance qui s’ensuit. Si les consommateurs continuent de se fournir sur le marché noir, ils continueront de souffrir de problèmes de santé liés aux produits frelatés et ils resteront éloignés des messages de prévention (sur les lieux de vente et sur les paquets des produits). Les mineurs pourront continuer à se fournir sans difficulté.

Ce qui nous amène à notre deuxième objectif : la protection de la santé publique. Contrairement au régime prohibitionniste où les politiques publiques ne peuvent avoir qu’un impact très limité sur l’usage du cannabis, la légalisation permet de mettre en œuvre des mesures efficaces de santé publique. Celles-ci devraient cibler en priorité les personnes pour lesquelles le cannabis a un effet particulièrement nocif : les mineurs et les adultes ayant un usage problématique. Il est essentiel d’éduquer le grand public sur les effets scientifiquement prouvés du cannabis sur la santé humaine et de promouvoir un usage modéré de cette drogue, comme cela est fait pour l’alcool.

Avec ces objectifs en tête, étudions maintenant les différentes mesures proposées dans notre rapport. Au niveau de la production tout d’abord, il nous paraît essentiel de traiter le cannabis comme un produit agricole comme un autre et d’en autoriser la libre culture. Le secteur privé est seul à même de produire efficacement des quantités de cannabis suffisantes pour répondre à la demande, avec un haut niveau de qualité. Les agriculteurs doivent être libres d’expérimenter différents modèles de production, sans contrainte spécifique autres que les normes sanitaires qui s’appliquent aussi au reste des produits. La législation doit se garder d’étrangler les producteurs de réglementations coûteuses et abusives qui feraient barrière aux petits exploitants. Une licence sera nécessaire pour cultiver le cannabis, mais celle-ci sera aisée à obtenir et peu onéreuse. Une production légale de cannabis dynamique et prospère menant à des produits de qualité et bon marché : voilà la clé d’une politique qui assèche efficacement le marché noir.

En matière de distribution ensuite, il est essentiel que l’offre légale soit non seulement bon marché et de qualité, mais qu’elle soit également facilement accessible sur l’ensemble du territoire. Ce n’est en effet qu’à cette condition que les consommateurs feront la transition du marché noir au marché légal. Contrairement à ce que certains idéologues présument, cette transition est tout sauf automatique : les consommateurs ne passeront d’un marché à l’autre que si le marché légal offre un même niveau de praticité.

C’est à ce titre que nous proposons que la distribution légale de cannabis soit ouverte à tous, sans limitation arbitraire du nombre de points de vente. Les limitations géographiques doivent être également exclues, au risque de préserver des rentes privilégiées au marché noir. À l’exception des stations-service, le cannabis doit pouvoir être vendu dans tout type d’établissements, à condition de respecter l’interdiction stricte de vente aux mineurs (systématiquement contrôlée). Les livraisons à domicile doivent notamment être permises afin de rivaliser efficacement contre le marché noir. Tout type de produit doit être autorisé à la vente, et ces produits doivent être raisonnablement taxés : nous proposons une taxe de 15% du prix de vente, dont les recettes permettront de financer les grands efforts de prévention qui sont également prévus dans notre modèle. Une licence aisée et peu onéreuse sera demandée pour ouvrir un point de vente, et elle sera ouverte aux anciens vendeurs du marché noir. Un tel modèle de marché libre, prospère et innovant est une condition indispensable pour une légalisation du cannabis qui porte ses fruits, et qui permettra en outre la création d’innombrables emplois.

Kevin Brookes est docteur en science politique, chercheur associé à GenerationLibre, chargé de cours à HEC Montréal et coordinateur francophone de l’Institut d’études libérales (basé au Canada).

Diplômé de Sciences Po Strasbourg et l’EM Strasbourg, Édouard Hesse écrit régulièrement des tribunes et recensions pour des journaux comme Slate ou Le Point.

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