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À la découverte du Liberland – Grégoire Osoha

Après plusieurs années chez Amnesty International France, Grégoire Osoha est aujourd’hui journaliste indépendant et réalisateur de podcasts. Il vient de publier, avec Timothée Demeillers, «Voyage au Liberland», un ouvrage consacré à l’histoire et l’évolution de cette micronation libérale.

Pourquoi avoir suivi l’aventure du Liberland durant des années et en avoir fait un livre ?

La première fois que nous avons entendu parler du Liberland, nous nous trouvions à quelques kilomètres de Gornja Siga, la terre vierge choisie pour accueillir cette nouvelle micronation. Nous étions alors en train de tourner un documentaire sur les nationalismes dans les Balkans. Qu’une poignée de Tchèques tentent de créer un nouvel État dans cette région si morcelée, ça nous a fortement interpellés. Nous nous sommes donc rendus sur place et y avons rencontré le président Vit Jedlicka. Cette journée a été déterminante pour la suite du projet. S’y mêlaient amateurisme et professionnalisme, embûches et loufoqueries, sérieux et ridicule. Le Liberland n’entrait dans aucune case pré-établie. À notre retour en France, nous avons continué à suivre l’évolution du projet et à en parler autour de nous. La plupart des gens étaient tout autant fascinés que nous : comment au XXIe siècle était-il encore possible de créer un pays de toutes pièces ? Le Liberland avait-il une chance réelle de voir le jour ? Quelles seraient les règles de vie qui s’y appliqueraient ? L’histoire est remontée jusqu’aux oreilles des éditions Marchialy – spécialisées dans les récits de non-fiction – qui nous ont proposé de raconter cette aventure incroyable. Comme tous leurs ouvrages sont de grande qualité, nous n’avons pas hésité une seconde à leur dire oui.

Dans votre livre, vous racontez l’euphorie du début, puis les difficultés du Liberland, et une sorte de surplace depuis quelques années. Où en est le Liberland et quelles sont ses perspectives d’avenir selon vous ? Sa stratégie vous semble-t-elle crédible ?

Le Liberland n’est finalement pas plus avancé qu’au premier jour. Les militants liberlandais ont d’abord tenté de mener une campagne de colonisation de Gornja Siga. Après avoir planté une première fois le drapeau en avril 2015, Vit Jedlicka a été rejoint sur place par plusieurs centaines de libertariens venus du monde entier qui se sont installés sur la rive serbe du Danube et ont tenté de s’implanter sur leur terre promise qui se situe sur le côté croate du Danube. Ils se sont rapidement retrouvés confrontés à la police croate qui patrouillait autour du territoire et empêchait quiconque d’y entrer. Les seuls qui y parvenaient se faisaient arrêter et placer en détention. Bien sûr, le Liberland n’allait pas entrer en guerre contre la Croatie, bien que certains militants y aient tout de même pensé sérieusement ! À la fin de l’été, Vit Jedlicka a donc décidé de changer de stratégie et de mener une campagne diplomatique internationale pour obtenir la reconnaissance officielle du Liberland par d’autres États et forcer ainsi la Croatie à accepter la création de sa micronation. Nous racontons dans le livre ces démarches auprès de pays aussi variés que les États-Unis, le Liechtenstein ou Haïti. Aucune n’a à ce jour été couronnée de succès même si Vit Jedlicka a tout de même réussi à se faire inviter à la cérémonie d’investiture de Donald Trump… Je n’ai pas l’habitude de faire de politique fiction donc je ne vous dirai pas que le Liberland ne verra jamais le jour mais les chances me semblent bien compromises. Il faudrait pour cela que le parti politique Zivi Zid, favorable au Liberland, gagne les élections en Croatie puis convainque l’Union européenne et ses voisins balkaniques de l’intérêt de la création d’une micronation libertarienne. On en est loin mais sait-on jamais. Peu avaient prédit le Brexit, l’élection de Trump ou la victoire de Nantes contre le PSG…

Vous dites que même si le Liberland disparaît, les idées derrière resteront, car elles s’inscrivent dans une philosophie «furieusement dans l’air du temps», pourquoi ?

La philosophie libertarienne est peu connue en Europe alors qu’elle est très établie aux États-Unis. Les romans d’Ayn Rand parus dans les années 1940 et 1950 qui véhiculent cette pensée politique sont encore aujourd’hui des best-sellers de l’autre côté de l’Atlantique. Par ailleurs, plusieurs chefs des entreprises parmi les plus puissantes du pays se déclarent ouvertement libertariens : Elon Musk, Peter Thiel, Jeff Bezos pour ne citer qu’eux. Pour autant, ce n’est pas parce que le terme est peu utilisé en Europe qu’il ne représente pas une forme prégnante de réalité. Nous vivons en effet dans des sociétés dans lesquelles la propriété privée est reconnue comme une valeur quasiment sacrée et dans lesquelles l’intervention des pouvoirs publics est de plus en plus mal ressentie. Beaucoup de personnes estiment que l’État les vole en utilisant l’impôt pour subtiliser le fruit de leur travail. Ces mêmes personnes préféreraient garder leur argent quitte à privatiser un grand nombre de secteurs comme l’éducation, l’énergie, le transport ou la santé. Par ailleurs, une grande partie de l’opinion ne supporte plus l’abondance des réglementations dans leur vie, l’idée que les États se mêlent de l’ensemble des actes de leur quotidien. Ce sentiment s’est accru avec la gestion de la pandémie de Covid par ce qui a pu être ressenti comme une privation démesurée de liberté par les États (confinement, couvre-feu, port du masque, gestes barrières, obligation de vaccination). Cela étant dit, «furieusement dans l’air du temps» ne signifie pas que ces idées sont dominantes et régissent le monde. Nombreuses et nombreux sont celles et ceux qui ne croient pas qu’un régime purement libertarien fasse le bonheur de l’humanité.

Propos recueillis par Nicolas Jutzet

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