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Chronique d’un voyage au Canada, pays des libertés confinées – 3

Dans cette série – Les combattants de la liberté – Kevin Brookes nous raconte ses aventures administratives en temps de pandémie.

En prison – Épisode 3

À mon hôtel de quarantaine, on me tend une fiche rose avec des options. Je coche les cases de mon menu sans bien comprendre. 

– «Comment ça marche ?»

– «On viendra frapper à votre porte en vous laissant un paquet avec votre nourriture devant la porte pour chaque repas aux tranches horaires indiquées». 

Je regarde l’horaire du petit déjeuner : entre 7 h et 8 h du matin. Difficile de digérer le fait d’être réveillé à cette heure-là après un long voyage et avec les effets du décalage horaire. On m’indique ensuite le couloir réservé «aux confinés» que ma carte d’hôtel me permet d’ouvrir. En me dirigeant vers ma chambre, je vois une petite table installée au milieu du couloir, derrière laquelle est assis un homme d’une certaine corpulence avec une chemise blanche. Je m’approche de lui et demande «Comment on fait pour aller fumer ?». Il me répond qu’il tient un registre et qu’il suffit de l’aviser à chaque sortie. Je lui donne mon numéro de chambre pour prendre l’air et griller une cigarette. Il s’agit en fait d’un parking entouré de grilles. Les quelques accès ont été recouverts de bandeaux rouge et blanc et j’aperçois un homme en gilet jaune en train de les revisser pour s’assurer qu’on ne sorte pas de cet enclos. Ma quarantaine à l’hôtel de trois jours (facturée 300 dollars la nuit) va être longue…

Ma chambre est sans charme et offre une vue sur une autoroute et un chemin de fer (tous les hôtels agréés par le gouvernement pour la quarantaine obligatoire sont situés près de l’aéroport). Je songe à déguster une bière canadienne avant mon repas tiède. On m’indique que l’hôtel ne peut pas vendre de l’alcool aux confinés. Qu’à cela ne tienne, j’avais eu l’intuition que je pourrais rencontrer ce genre de problème dans ce pays qui a connu la prohibition et qui ne permet pas la vente libre de vin dans ses supermarchés. Je sors donc ma bouteille de Bordeaux achetée en duty free à Paris. Je demande à ce que l’on me prête un ouvre-bouteille. On m’indique qu’un employé va rester devant ma porte le temps que j’ouvre ma bouteille. Après mon repas, je m’écroule de fatigue sur mon matelas trop mou.

Au réveil, j’ai la bonne surprise de constater que j’ai reçu le résultat de mon test PCR administré la veille. Négatif. Je peux donc officiellement quitter mon hôtel de quarantaine deux jours plus tôt que prévu pour commencer le gros de la quarantaine (les 13 jours restants…). Comme mon appartement de location indiqué sur l’application du gouvernement n’est pas encore libre, je décide d’appeler un représentant du gouvernement pour me conformer à ses directives. J’explique, de bonne foi, que je voudrais inscrire un nouveau lieu de quarantaine sur l’application en attendant de rejoindre celui que j’avais indiqué avant de partir. Visiblement gêné, mon interlocuteur m’explique que la mise à jour de ces informations serait trop complexe informatiquement et prendrait trop de temps. Il m’accorde alors «24 h pour faire le transit». Peu de temps après, je reçois un mail m’invitant à déclarer mes symptômes. Je coche alors la case «en transit». En quittant l’hôtel, j’aperçois une famille qui hurle à travers les grilles qui séparent l’entrée et l’aile confinée de l’hôtel : «On t’aime !». On a connu mieux comme retrouvailles familiales…  

Je quitte cet hôtel sous-traitant du gouvernement pour un Airbnb plus convivial et abordable en centre-ville. En attendant que l’appartement soit prêt, je m’accorde une séance de lecture dans un parc en surveillant que personne en uniforme ne m’approche. Le lendemain, je me rends dans mon lieu de quarantaine officiel déclaré en prenant un double risque : en y allant à pied (nous sommes théoriquement obligés d’y aller en voiture) et en passant par un «dépanneur» (une petite épicerie) pour faire mes réserves de bière locale. Mes imbroglios administratifs que je croyais cantonnés à mon statut de migrant continuent lorsqu’il s’agit de «magasiner en ligne» mes courses de supermarché pour ma quarantaine. En effet, il est interdit de sortir de chez soi pour faire des courses. Là aussi, je ne rentre pas dans les cases des formulaires, je n’ai pas de numéro canadien. Je m’arrange avec un ami et espère avoir le privilège d’être livré 2 jours plus tard quand je comprends qu’il y a un problème avec ma carte bancaire. Il s’avère que l’hôtel de quarantaine obligatoire a bel et bien pré-autorisé non pas une, mais trois nuits d’hôtel (1200 dollars, soit 800 euros) ce qui a bloqué l’usage de ma carte. Je résous la situation en vendant d’urgence une partie de mes crypto-monnaies. Me voilà tiré d’affaire pour me faire moi-même à manger dans deux jours. En attendant, j’utilise abondamment une plateforme de vente à emporter bien connue. Décidément cette quarantaine obligatoire est coûteuse sur le plan financier et guère recommandable pour la ligne.

Kevin Brookes est docteur en science politique, chercheur associé à GenerationLibre, chargé de cours à HEC Montréal et coordinateur francophone de l’Institut d’études libérales (basé au Canada).

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