Passeport pour la liberté – Épisode 7
Dans cette série – Passeport pour la liberté – Nicolas Jutzet part sur le chemin de la liberté, à la découverte des alternatives aux États modernes. Dans le septième épisode, après avoir découvert différentes personnalités qui mettent en œuvre des alternatives sur la Terre, nous nous intéressons aux aventuriers qui souhaitent s’installer ailleurs. Et si l’espace était la prochaine terre de jeu des fondateurs de micronations ?
1948, dans l’Illinois, aux États-Unis. James Thomas Mangan, traumatisé, comme le reste de l’humanité après deux guerres mondiales sanglantes, se demande comment il peut empêcher la prochaine. Agent publicitaire, il met en application ses compétences et se lance dans une aventure (d)étonnante. Il fonde Célestia, la nation de l’Espace céleste. Ce qui revient à déclarer l’indépendance de l’espace infini. Si le plan de James Mangan aboutit, il se retrouvera tout simplement à la tête du plus grand pays qui ait jamais existé. Fataliste, il justifie ce coup d’éclat par le fait de vouloir faire de l’espace un patrimoine commun, afin de le protéger des nations et des guerres qu’elles mènent. Sûr de lui, il informe les États qu’il est désormais interdit de faire des essais nucléaires dans l’espace «extra-atmosphérique». Cette doléance ne sera cependant jamais suivie d’effets. Une autre anecdote rapportée par Stéphane-Bertin Hoffmann[1] au sujet de Célestia, qui revendique 19’000 «habitants» à son pic, illustre ce combat baroque. Sans doute pour faire sensation, la micro-nation déclare la guerre à la radio et à la télévision, jugeant que ces moyens de communications n’ont pas reçu le droit de traverser le «territoire» de l’Espace céleste. Ici aussi, cette sommation restera sans réponse. James Mangan mènera son combat durant près de deux décennies, développant comme d’autres micronations une monnaie et des timbres, ainsi qu’une suite d’objets étranges pour financer sa croisade «pacifique». Célestia disparaît en 1970, avec la mort de son fondateur.
L’échec de Célestia s’explique par le fait que la communauté internationale a très tôt pris au sérieux la menace d’une appropriation de l’espace par l’une des puissances mondiales. En signant des accords pour éviter une mainmise sur l’espace, tout semblait en place pour éviter des luttes qui se prolongeraient ailleurs. James Mangan leur rétorque que ces accords empêchent les États et non les individus de s’approprier l’espace. Dans «La Reconnaissance des micronations, ou l’utopie confrontée au droit», Stéphane-Bertin Hoffmann ne donne que peu de crédits à ces interprétations des traités, rappelant que «dans de nombreux systèmes juridiques, il est nécessaire d’adjoindre à la revendication stricto-sensu un animus occupandi, c’est-à-dire une intention d’occuper le terrain en question». Intention qui semble pour le moins hypothétique en l’occurrence. Cette réalité n’empêchera pas Dennis Hope, un autre président auto-proclamé du «gouvernement galactique», de se déclarer propriétaire de la Lune. Dans les années 1980, il se transforme en agent immobilier atypique et se met à vendre des parcelles de «sa» propriété, la Lune. Ces «propriétés» n’ont aucune valeur légale, mais sa fortune est faite.
Objectif Mars, la piste de la planète B
Les exemples précédents nous montrent que prendre possession à distance de la Lune ou de l’espace semble voué à l’échec. Reste la possibilité de s’y rendre pour y habiter. C’est la stratégie théorisée par la Mars Society qui souhaite à terme coloniser la planète Mars. Mais pourquoi Mars plutôt que la Lune ? Pour Luc Mary «Mars a toujours fait fantasmer l’humanité en quête de nouvelles îles cosmiques ; non en raison de ses paramètres physiques, mais parce qu’il s’agit de la seule planète “fréquentable” dans notre environnement spatial immédiat»[2]. À noter toutefois que si Mars est plus accueillante, la durée de la mission pour s’y rendre sera, au minimum trente à soixante fois plus longue que pour la Lune. On évoque en général une durée de six mois.
La planète rouge présente même beaucoup de similitudes avec la Terre. On en veut pour preuve une durée de rotation presque identique et l’existence de saisons. Mais là s’arrête la comparaison. Située à plus de 75 millions de kilomètres au-delà de l’orbite terrestre, Mars enregistre des températures bien inférieures à zéro degré. La dernière pluie remonte à plus de trois milliards d’années. En raison de son faible gabarit et surtout de l’absence de dérive des continents, Mars ne peut rivaliser très longtemps avec la Terre. La planète rouge est une grande victime du froid.
Luc Mary, Elon Musk, l’homme qui invente notre futur
Au premier regard, la conquête de la planète rouge n’est pas forcément une aventure libérale. Largement financée, directement ou indirectement, par de l’argent public, elle ressemble à d’autres objectifs politiques qui coûtent cher, sans correspondre aux besoins de la population. Toutefois, en y regardant de plus près, saluons au moins son ambition prométhéenne, par le goût de l’action et sa foi en l’Homme, comme être doté d’une intelligence supérieure qui doit maîtriser son destin et tenter de mieux comprendre le monde pour l’adapter à ses besoins. Cela correspond à la vision libérale de l’être humain créatif et ouvert au risque. C’est une aventure qui contrebalance avec l’omniprésent «principe de précaution» qui freine la capacité humaine à prendre des risques maîtrisés pour progresser.
Certes, de nombreux défis se dressent sur la route des défenseurs d’une implémentation d’une colonie humaine sur Mars, mais les projets foisonnent. Nüwa est l’un des plus sérieux dans le lot. Sélectionné dans le cadre d’un concours de la Mars Society parmi plus de 175 initiatives dans le monde, Nüwa est un projet de ville autosuffisante pouvant à terme accueillir un million d’habitants. En raison de la distance entre la Terre et Mars, du coût et de la difficulté des voyages, l’autosuffisance est primordiale pour tout projet souhaitant réellement s’implanter sur Mars et permettre l’éclosion d’une colonie humaine pérenne. Nüwa prévoit, après une courte phase initiale reposant sur des investissements en capital et des fournitures en provenance de la Terre, d’être capable de soutenir sa croissance avec les seules ressources présentes sur place. Selon ses concepteurs, la mise en place du projet commencera à partir des années 2050, et sera terminée d’ici à 2100.
L’impatient Elon Musk
2050, c’est une échéance lointaine qui énerve le serial entrepreneur qu’est Elon Musk. Lui espère aller sur Mars dans la prochaine décennie déjà. C’est un marqueur de l’industrie spatiale, depuis le début du 21e siècle, des entreprises privées ont insufflé un nouveau dynamisme à ce secteur ronronnant. Que ce soit pour rationaliser les procédures et faire baisser les coûts, ou simplement pour raviver des ambitions, l’apport des différents poids-lourds de la Silicon Valley ou d’ailleurs (Elon Musk, Jeff Bezos, Paul Allen et Richard Branson) fut décisif. Parmi ces entrepreneurs pionniers, Elon Musk est le plus engagé. On dit même qu’il est obsédé par la planète rouge. Sa volonté de démocratiser les voyages dans l’espace et de faire de Mars notre prochaine terre d’accueil – et donc de fonder une humanité multiplanétaire – sont désormais connues du grand public, qui se re-découvre une passion pour la conquête spatiale.
Pour Musk, le 21e siècle sera celui de la colonisation de Mars. Par colonisation, il faut comprendre un aller simple sur la planète, pour y rester et fonder une colonie, en autonomie totale de la Terre. Pour l’entrepreneur, c’est une nécessité, car la Terre sera de plus en plus invivable, polluée et soumise au réchauffement climatique. Ceux qui ont de gros moyens pourront quitter cette Terre afin de finir leur vie sur Mars.
Francis Rocard, Dernières nouvelles de Mars
Toutefois, en raison notamment d’annonces tonitruantes – comme le fait de se rendre dès 2024 sur Mars, ou que «notre futur sera martien ou ne sera pas» – ses ambitions suscitent parfois les railleries et sont jugées délirantes par certains. Toujours est-il que la volonté de se rendre sur Mars est bien réelle et Musk n’est pas seul dans son aventure. Dans Dernières nouvelles de Mars, l’astrophysicien Francis Rocard, responsable du programme d’exploration du système solaire au Centre national d’études spatiales (CNES), rappelle que si «certains pensent que l’entreprise est impossible, l’impossible est aujourd’hui en préparation», notamment sous l’impulsion des Américains, pour qui Mars représente le nouvel objectif suprême. Quant au calendrier, Francis Rocard prédit que «la première mission vers Mars pourra avoir lieu dans les années 2030, mais l’intégralité du programme s’étalera au-delà du milieu de ce siècle». Et à la question de savoir si des humains seront envoyés sur Mars, il répond par l’affirmative. La question n’est donc plus tant de savoir si, mais quand, et qui y parviendra.
Nul doute que si Mars devient la nouvelle planète humaine, ou du moins l’une de ses résidences habitables, différents aventuriers tenteront d’y mettre en place des micronations, comme sur Terre. Les Giorgio Rosa de l’espace peuvent se préparer !
[1] Dans La Reconnaissance des micronations, ou l’utopie confrontée au droit
[2] Dans «Elon Musk, l’homme qui invente notre futur»
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