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Chronique d’un voyage au Canada, pays des libertés confinées – 1

Dans cette série – Les combattants de la liberté – Kevin Brookes nous raconte ses aventures administratives en temps de pandémie.

L’aéroport Charles de Gaulle – Épisode 1

«Venez avec moi Monsieur».

Une agente de la compagnie aérienne canadienne m’exfiltre de la file d’une cinquantaine de voyageurs après avoir pris connaissance des papiers que j’avais dans ma pochette. Je me retrouve seul devant un guichet face à plusieurs agents qui n’ont pas commencé l’enregistrement. Ils sont affairés à vérifier le contenu de chacune des pochettes étreintes avec anxiété par les voyageurs. Elles contiennent leurs documents d’immigration, leurs tests PCR négatifs, leurs plans de confinement à l’arrivée, etc. Après discussion avec plusieurs collègues, l’agente m’indique qu’«on va devoir parler à l’Ambassade du Canada à Paris». Elle décroche un téléphone qu’elle visse à son oreille. S’ensuit une discussion interminable, visiblement complexe, avec son interlocuteur. Mon anxiété monte. Mes craintes s’avéreraient-elles fondées : me refusera-t-on l’accès à l’avion pour Montréal ?

Je me posais cette question depuis de longues semaines qui prirent l’allure tantôt d’une enquête policière, tantôt d’un périple bureaucratique analogue à celui des héros des «12 Travaux d’Astérix». L’imprimante de mon bureau en fut témoin quand elle avala la moitié d’un bac à papier pour préparer l’épreuve des douanes. C’est qu’il faut persévérer pour comprendre le traitement que le pays gouverné par le très souriant Justin Trudeau réserve à ses résidents permanents. IRCC, RP, CSQ, NAS, TVRP, CRDP, VE, .ca, .qc… je m’étais frotté non sans dégoût depuis des années à la complexité labyrinthique qui jalonne le parcours de combattant qu’est l’obtention de la résidence permanente au Canada. Je pensais être arrivé au bout de mes peines quand j’avais reçu, deux ans après avoir initié ma demande, une lettre de confirmation de ma demande de résidence permanente. Je croyais être tiré d’affaire, mais la crise pandémique me rattrapa. Il me fallait obtenir une carte de RP (résident permanent) pour rentrer au pays. Faute de réponse de leur part suite à l’envoi d’une photo d’identité (aux dimensions excentriques nécessitant le service d’un photographe professionnel), il me fallait un «TVRP» (sorte de visa spécial Covid). Je n’avais jamais reçu de réponse de la part des services d’immigration, même après avoir sorti ma carte bancaire pour régler les frais en ligne.

«Monsieur, le conseiller de l’ambassade veut vous parler» dit l’agente de la compagnie aérienne, visiblement déterminée à me sortir du pétrin. À la bonne heure, me dis-je, puisqu’on m’avait indiqué au bout d’une ligne d’information aux options vocales infinies que l’Ambassade du Canada ne gérait pas les dossiers d’immigration des Français. J’explique mon cas à mon interlocuteur qui m’indique au bout de quelques minutes : «Ce n’est pas possible que vous ayez obtenu cette lettre de confirmation, vous êtes à l’extérieur du Canada». Je réussis à le convaincre de l’existence de cette lettre et parviens à lui montrer ma bonne foi et ma volonté de me soumettre à toutes les règles. Y compris celles qui me semblent les plus contre-intuitives du point de vue du droit international, comme le fait pour un résident permanent de devoir demander un visa spécial pour aller dans son pays de résidence. «Ok, c’est bon, on va vous faire rentrer dans l’avion». Seulement une demi-heure de tergiversation sous le regard mi-agacé, mi-médusé de la file de passagers derrière moi pour régler mon cas ? «Pas si pire» comme on dit au Québec.

Un autre agent pèse et expédie ma valise. L’affaire semble donc pliée. Si ce n’est la saisie informatique de mon numéro de dossier de résident. Après plusieurs tentatives infructueuses, un autre agent (la première dame, tel un scribe, est affectée au remplissage manuel d’étiquettes de bagages suite à un bug informatique) rappelle l’ambassade pour demander plus de chiffres associés à mon nom. Le responsable de la compagnie aérienne au guichet s’en mêle et décide de rappeler pour la troisième fois le conseiller de l’ambassade. Après plusieurs minutes de conversation qui me semblent interminables, le responsable m’ôte de mes rêveries de frontières ouvertes et de simplicité pour me dire d’un air grave «Venez avec moi Monsieur». Il m’explique que si mon dossier ne passe pas, c’est parce que je n’ai pas le droit de voyager avec mes papiers et en absence de réponse pour mon visa «spécial Covid». Je lui fais remarquer que l’on a déjà expédié ma valise et que l’on m’a dit que je pourrais rentrer dans l’avion quelques minutes plus tôt, il me répond qu’on va vite me la restituer. «Non, laisse tomber, c’est bon, j’ai réussi à inscrire son numéro de dossier sur l’ordinateur !» s’exclame alors l’un de ses collègues. Après un bref échange, on m’indique qu’on me laissera finalement rentrer dans l’avion pour Montréal.

«Finalement, c’était long, mais vous vous en êtes bien sorti» me déclare avec compassion un résident permanent (possédant sa carte, contrairement à moi). «On verra à Montréal» dis-je alors d’un air anxieux alors que je tends mon passeport pour la énième fois à une agente masquée.

Kevin Brookes est docteur en science politique, chercheur associé à GenerationLibre, chargé de cours à HEC Montréal et coordinateur francophone de l’Institut d’études libérales (basé au Canada).

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