loader image

Chronique d’un voyage au Canada, pays des libertés confinées – 2

Dans cette série – Les combattants de la liberté – Kevin Brookes nous raconte ses aventures administratives en temps de pandémie.

Bienvenue au Québec – Épisode 2

Dans l’avion, je me surprends à me sentir dans le «monde d’avant». La même appréhension au décollage. La joie de retrouver mes amis outre-Atlantique. Les annonces prononcées avec un fort accent québécois sonnent comme de la musique à mes oreilles. Le temps est loin où cet accent m’intimidait et créait des incompréhensions avec certains de mes collègues de travail à Montréal. Mais très vite, la peur pandémique saisit l’avion et éclipse mes pensées positives. Une publicité diffusée sur nos petits écrans vante les mérites de la compagnie aérienne en matière d’hygiène et projette un clip qui montre dans le menu détail des agents appliqués à pulvériser consciencieusement tous les sièges.

On nous invite à garder le masque en tout temps. Soit. On nous invite à revêtir les masques à trois couches fournis par la compagnie aérienne dont le port est recommandé au Canada. Soit. On nous invite à restreindre nos déplacements dans l’avion. Soit. On nous invite à attendre patiemment que chaque client de notre rangée soit servi avant de pouvoir toucher à nos boîtes en carton dont la compagnie semble assez fière (mesure sanitaire qui me semble avoir un certain coût gastronomique). Je constate que ce n’est pas une invitation quand je vois une passagère se faire réprimander par une hôtesse de l’air vêtue d’une blouse de chirurgie transparente. On nous invite (oblige) à ne pas passer trop de temps à manger ou à boire sans masque. Le terme de «temps raisonnable» est mobilisé dans les annonces. Exemple à l’appui : il serait déraisonnable de retirer son masque pour prendre une gorgée d’un «breuvage» (comme on dit au Québec) toutes les deux minutes. Ne souhaitant pas que l’on me rouspète dessus, j’avale mon «coke diète» (comme on dit au Québec) rapidement. Je parvins à me plonger dans quelques films à la qualité aléatoire avant que l’angoisse ne reprenne le dessus : mes papiers vont-ils suffire à convaincre le douanier à l’arrivée ?

Je me prépare psychologiquement à l’épreuve qui m’attend de la manière la plus stoïque, du heavy metal vissé sur mes oreilles. Je reprends difficilement ma respiration dans mon masque à trois couches qui devient suffocant. Le temps d’attente est très court, l’aéroport est à moitié vide, tandis que les bureaux des douaniers sont quasiment tous occupés. J’ai de la chance, j’ai affaire à quelqu’un de calme qui vérifie à peine mon plan de quarantaine (qui s’avérera bancal par la suite sur le plan logistique). Il m’indique seulement de passer au guichet 1 du bureau d’immigration pour vérifier ma situation. On me rappelle encore que je n’ai pas le droit de voyager avec mon document de confirmation de résidence permanente. Je tends inlassablement ma pochette jaune. On me demande pourquoi je viens au Canada et si j’ai une conjointe de fait. Je ne comprends pas bien le rapport et j’acquiesce mécaniquement tel un robot, car c’est vrai d’un point de vue administratif. J’entends une personne d’origine indienne se faire reconduire dans un avion à ma droite, car elle n’a pas un visa approprié. L’angoisse monte. Après un long silence, j’entends un bruit de tampon qui s’abat sur mon passeport. «C’est bon Monsieur, vous pouvez y aller». Immense soulagement, mais je sais qu’il est encore trop tôt pour relâcher mon attention. En effet, je dois encore tendre mon passeport à des personnes masquées, répondre à des questions sur ma vie, et tapoter sur mon smartphone pour faire des déclarations et m’inscrire à diverses choses. «Rien à déclarer ?» À part que je suis fatigué, non. Je passe mon test PCR. Je m’accorde quelques minutes de liberté à l’extérieur avant ma quarantaine obligatoire pour fumer une cigarette en prenant le soin de m’écarter de 9 mètres de l’entrée (législation fédérale).

Je repense, en attendant la navette pour mon hôtel de confinement obligatoire, au roman de Gaspard Kœnig, L’Enfer. Il y décrit un «enfer néo-libéral» où un professeur d’économie décédé croit arriver au paradis dans un monde circonscrit à des aéroports connectés entre eux et fermés, où règnent la surconsommation et les plaisirs éphémères. Je regarde l’heure et fais un petit calcul. 3 h à l’aéroport Charles de Gaulle et 2 h à l’aéroport Pierre Elliot Trudeau, pour un trajet de 6H30 de vol. Le tout sans avoir le temps de flâner dans les rayons, de se laisser tenter par une pâtisserie, ou de siroter une bière de micro-brasserie. Finalement, j’aurais bien troqué mon calvaire administratif fait d’incertitudes, d’une liasse de papiers et d’arbitraire pour cet «enfer néo-libéral» dominé par le système de prix et l’échange volontaire. Je me dis que ce n’est que le premier jour de ma quatorzaine de confinement, et je me doute bien que ce qui m’attend s’apparente à l’enfer carcéral si bien décrit par Michel Foucault.

Kevin Brookes est docteur en science politique, chercheur associé à GenerationLibre, chargé de cours à HEC Montréal et coordinateur francophone de l’Institut d’études libérales (basé au Canada).

Newsletter de Liber-thé

Des articles, des études, toute l'actualité libérale dans notre newsletter. Une fois par mois.
Je m'inscris
close-link