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Biélorussie : Une campagne différente

Les récits de la Liber-thé sont des séries d’articles dans lesquels des rédacteurs de toute la francophonie nous parlent de la liberté sous ses diverses facettes. Dans cette série – Les combattants de la liberté – Piotr Markielau revient sur les récents événements en Biélorussie et la mobilisation de la population pour plus de liberté.

Les combattants de la liberté – Biélorussie – Épisode 2

La sixième élection présidentielle en Biélorussie ne s’est pas déroulée comme d’habitude. En dépit d’attaques sans précédents contre les médias indépendants, les politiciens et activistes ainsi que l’opposition ont donné l’espoir aux biélorusses qu’ils pouvaient changer le régime autoritaire qui contrôle le pays depuis 1994.

Le premier opposant, Viktar Babaryka a annoncé sa candidature présidentielle le jour même où il a démissionné de la Belgazprombank, après 20 ans de présidence du conseil d’administration. Babaryka est un homme d’affaires et philanthrope, qui reprend parfois les codes populistes. Il a réussi à rassembler un chiffre record de 425 000 signatures pour sa nomination en tant que candidat. Il a mis en avant l’idée que s’il y a une «victoire électorale», elle ne peut être falsifiée. Cette naïveté a attiré de nombreux Biélorusses de la classe moyenne et les a mobilisés pour qu’ils mènent des actions en justice qui ne demandaient pas beaucoup de courage, comme des envois de plaintes formelles contre les agissements de fonctionnaires, une collecte de signatures pour une procédure transparente de comptage des votes, etc., qui ont eu comme seul effet de stimuler l’activisme de base et de former une communauté.

Deuxième challenger le plus populaire de Loukachenko : Siarhiej Cichanoŭski, un entrepreneur et un opposant à succès sur Youtube. Il a fait l’objet d’une arrestation administrative au moment de l’enregistrement de groupes pour récolter des signatures. Il n’a pas été en mesure de signer les documents, si bien qu’à sa place, sa femme Sviatłana Cichanoŭskaja a soumis les documents pour sa propre nomination, une heure avant la date limite. Son mari est par la suite devenu le chef de son équipe de campagne. Siarhiej n’a pas prétendu ne pas savoir de quelle nature était le régime qu’il affrontait. Il a traité le président de «dictateur» et a ouvertement critiqué la centralisation du pouvoir, les faux députés à la botte du régime et les juges sous contrôle. Considéré comme le leader des manifestations de rue, Siarhiej a été arrêté lors d’un événement de soutien à sa femme le 29 mai 2020, après une mise en scène de provocation, mal jouée par des policiers et une prostituée. La semaine suivante, la police a fait irruption dans le bureau de Siarhiej, sa datcha et la maison de sa mère. 900 000 dollars ont été «trouvés» et Siarhiej ainsi que plusieurs membres de son équipe ont été accusés d’avoir organisé des émeutes de masse. En raison de cela, Sviatłana a dû assumer seule un rôle auquel elle ne s’était jamais préparée, celui de leader.

Le troisième candidat indépendant qui aurait recueilli suffisamment de signatures pour sa nomination, Valer Capkała, était l’un des dirigeants du bureau de Lukašenka en 1994. Depuis lors, il a travaillé dans des institutions d’État et, de 2005 à 2017, il a dirigé le parc de haute technologie, la « Silicon Valley » biélorusse. Son passé controversé et son approche technocratique ne lui ont pas permis de devenir un leader rassembleur. Lorsqu’une procédure pénale a été engagée contre lui, que sa maison a été fouillée et que sa femme Veranika Capkała et lui ont été menacés de privation de leurs droits parentaux, il a quitté la Biélorussie. Sur les 160 000 signatures soumises à la Commission électorale centrale, seules 75 000 ont été reconnues valables et Valer a abandonné la campagne électorale.

Les intimidations et les arrestations arbitraires de blogueurs et de militants ont commencé bien avant l’élection. Comme la peine maximale pour avoir participé à une réunion non autorisée est de quinze jours d’emprisonnement, certains ont été condamnés plusieurs fois de suite sans être libérés. Le leader du parti démocrate-chrétien biélorusse Pavał Sieviaryniec a passé cinq fois quinze jours (75 jours au total) en prison. Il aurait dû être libéré le 21 août, mais la police a ouvert une procédure pénale contre lui et il est resté en détention. Des dizaines de personnes ont été enfermées dans des prisons pour prévenir une protestation coordonnée et les préparatifs du 9 août, qui était considéré comme «le jour principal» et le début d’une protestation à l’échelle nationale.

Le 11 juin, un groupe d’hommes en noir a mené un raid sur le siège de la Belgazprombank. Une collection de peintures d’une valeur de 20 millions a été confisquée et le contenu des cellules de dépôt des clients privés de la banque a disparu. Quinze personnes parmi les cadres supérieurs de la banque et ses anciens employés ont été arrêtées et accusées d’évasion fiscale. Peu après, le candidat à la présidentielle Viktar Babaryka lui-même, et son fils Eduard, qui dirigeait sa campagne politique, ont également été arrêtés. La Banque nationale du Biélorussie s’est approprié la gestion de la banque. La peinture «Eva» de Chaïm Soutine de la collection saisie est devenue l’un des symboles de l’anarchie dans le pays et du mouvement de protestation.

Beaucoup ont été surpris que la Commission électorale centrale n’ait pas enregistré Viktar Babaryka comme candidat à la présidence. En revanche, Sviatłana Cichanoŭskaja a été enregistrée – car probablement, Lukachenko considérait qu’une femme au foyer non préparée politiquement serait un faible adversaire. Le bureau de Babaryka ayant des capacités et étant dirigé par Maryja Kalesnikava et Veranika Capkała, qui n’avait pas encore quitté la Biélorussie à l’époque, se sont réunis autour de Sviatłana Cichanoŭskaja et ont déclaré le «bureau uni» – ce dont les Biélorusses rêvaient depuis longtemps. Agir avec le coeur, poing levé pour la résistance et V pour la victoire : le public a adoré ce triumvirat féminin.

© Maxim S

Les Biélorusses se sont sentis unis derrière un seul nom sur le bulletin de vote et se préparaient à défendre leur vote. Un certain nombre d’initiatives d’observation électorale ont été lancées pour contourner les restrictions imposées par le gouvernement et pour obtenir des preuves indéniables de la fraude électorale du gouvernement, à l’échelle nationale.

Une carte en ligne a aidé les observateurs à coordonner, à signaler les violations et à télécharger des photos des protocoles avec les résultats du vote dans les bureaux de vote du pays. Plus tard, les activistes ont collecté le nombre de votes pour Cichanoŭskaja dans les bureaux de vote d’un district et l’ont comparé au nombre de votes du protocole du district. Le nombre final de votes de protestation semble être inférieur au total des votes de protestation par circonscription où les protocoles ont été téléchargés. Les sondages à la sortie des bureaux de vote ayant été interdits, la plateforme en ligne «Voice» a réussi à confirmer plus d’un million de votes et à recueillir des photos de plus de 500 000 bulletins de vote. Des falsifications ont été détectées dans un bureau de vote sur trois.

L’application de messagerie Telegram est devenu un outil crucial pour la résistance, et pas seulement en raison de sa fonctionnalité et de l’anonymat qu’elle garantit. C’était également le seul moyen de communiquer et d’obtenir des nouvelles lorsque internet a été presque entièrement fermé en Biélorussie du 9 au 11 août.

Dans la soirée du 9 août, les gens sont descendus dans les rues de leurs villes avant l’annonce des résultats préliminaires des élections. Ce jour-là a commencé une opération punitive que la Biélorussie n’avait jamais vue depuis son indépendance.

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