loader image

Biélorussie : Un combat des symboles

Les récits de la Liber-thé sont des séries d’articles dans lesquels des rédacteurs de toute la francophonie nous parlent de la liberté sous ses diverses facettes. Dans cette série – Les combattants de la liberté – un contact sur place revient sur les récents événements en Biélorussie et la mobilisation de la population pour plus de liberté.

Les combattants de la liberté – Biélorussie – Épisode 4

La dictature se comporte comme un cartel de la drogue. Retour sur l’automne de la protestation en Biélorusse

Par Vadim Mojeiko, un analyste qui vit à Minsk (Biélorussie)

Six mois se sont écoulés depuis le début des protestations en Biélorussie. Elles ont débuté après la falsification des élections présidentielles et la violence policière excessivement brutale subie par des citoyens. Ces six mois sont devenus une période de construction accélérée de la nation biélorusse. Mais ce fut aussi une période de dures épreuves. Dès le mois d’août, les Biélorusses ont appris que dans leur pays d’origine, la police se comporte comme des troupes d’occupation qui se battent contre les citoyens. À l’automne, la situation est devenue encore plus inconcevable. Le président Loukachenko et son entourage se sont révélés semblables aux dirigeants d’un cartel de la drogue. Ils n’hésitent pas à émettre directement des ordres criminels, et à demander à des hauts fonctionnaires de participer personnellement à leur exécution.

À l’automne, les actions de protestation dans les rues de Minsk se sont déplacées dans les quartiers, dans les cours des immeubles résidentiels. Les coupures constantes d’Internet et les cordons de sécurité ont empêché les gens de se rassembler dans le centre-ville. Les terrains de jeux, les terrains de sport et les fenêtres des appartements sont devenus le nouveau champ de bataille. Pour marquer leur soutien aux manifestants, les Biélorusses décoraient leurs maisons et leurs cours avec des symboles de protestation blanc-rouge-blanc : drapeaux, rubans, affiches, graffitis. Différents quartiers de Minsk ont adopté leurs propres drapeaux aux couleurs blanc-rouge-blanc.

Les services municipaux ont tenté de lutter contre cette protestation en s’attaquant à ces symboles. Sans succès, la mobilisation des habitants était trop forte. À un certain moment, Minsk semblait complètement envahie par les manifestants. Dans chaque maison, plusieurs drapeaux blanc-rouge-blanc étaient accrochés aux fenêtres, et le paysage ennuyeux d’automne s’illuminait de rubans et de graffitis. Les concierges qui venaient enlever les drapeaux ont été chassés pacifiquement des cours. Ils ont dû faire leur sale boulot sous la protection de la police armée.

Fin octobre, Alexandre Loukachenko a appellé ouvertement à la violence contre les manifestants : «À partir d’aujourd’hui nous ne ferons plus de prisonniers. Si quelqu’un touche un militaire, il doit au moins partir sans ses mains».

Après de telles paroles, des hauts fonctionnaires portant leurs masques sont allés personnellement couper des rubans rouges et blancs sur le «Square of Changes», l’une des cours d’immeuble les plus connues de Minsk. Au cours de l’affrontement, un habitant du coin, Roman Bondarenko, 31 ans, a été blessé. Il a fini par décéder à la suite de ses blessures. Selon des écoutes téléphoniques anonymes, le président de la Fédération biélorusse de hockey sur glace et l’attaché de presse de Loukachenko ont été personnellement impliqués dans l’incident.

Roman Bondarenko, figure de l’opposition biélorusse.

Le lendemain de l’incident du «Square of Changes», mes voisins et moi avions prévu de nous rencontrer pour mener une action de solidarité avec Roman Bondarenko, qui était à l’hôpital à ce moment-là. Nous avions accepté d’emporter des bougies pour enregistrer une vidéo, en les plaçant en forme de cœur – un des symboles des protestations pacifiques en Biélorussie. Mais la nouvelle de la mort de Roman Bondarenko est arrivée juste au moment où nous nous retrouvions. Au lieu d’une action de solidarité, nous sommes montés dans nos voitures et nous sommes allés au «Square of Changes». En chemin, nous avons acheté des fleurs.

Le «Square of Changes» est une cour ordinaire, jusqu’alors peu remarquée. Elle se trouve dans un nouveau complexe résidentiel, dans une zone «dortoir». Elle est devenue célèbre grâce à la peinture murale qui a été peinte au centre de la cour. Les agents publics l’ont détruite à plusieurs reprises. Mais les habitants de la région ont restauré la fresque. Encore et encore. L’œuvre représente les «DJ du changement» – deux jeunes gens qui ont travaillé comme DJ lors d’une manifestation pro-gouvernementale pendant la campagne électorale. Cependant, au lieu de faire passer les chansons suintant le patriotisme et la propagande, les «DJ du changement» ont joué «Changes !» de Viktor Tsoi – une composition musicale d’un musicien de rock soviétique culte, exprimant le désir de liberté.

Comme il s’est avéré plus tard, c’est Roman Bondarenko qui a restauré la fresque à plusieurs reprises. Lorsque nous sommes arrivés au «Square of Change», il y avait un énorme bouchon. La circulation était complétement perturbée autour de cette cour. Des milliers de personnes essayaient de se rendre au même endroit en même temps – comme si c’était un stade, et non une petite cour. Nous avons laissé notre voiture et sommes partis à pied. La cour était complètement remplie de gens. Tout le monde voulait déposer des fleurs et allumer des bougies près d’un mémorial spontané, qui s’élevait près de la fresque. La fresque elle-même avait été effacée, mais à sa place, quelqu’un avait écrit «Nous allons survivre». De nombreux œillets blancs et rouges se trouvaient sous le graffiti.

L’ambiance était étrange au «Square of Changes» ce soir-là. Tout le monde, dans le public, s’attendait à ce que la police intervienne à tout moment de façon agressive. Toutes les personnes présentes ont alors senti qu’elles risquaient de connaître le même sort que Roman Bondarenko. Et pourtant nous sommes restés là.
Tout s’est bien passé ce soir-là. Mais une grande descente de police a eu lieu deux jours plus tard. Des centaines de forces de sécurité armées ont encerclé la cour, battu et arrêté les personnes qui défendaient le mémorial. La cour était remplie de crépitements et de fumée de grenades à explosion. Fuyant le raid de police, les gens se sont cachés dans les entrées des immeubles. Les agents de sécurité sont restés dans la cour, puis sont allés aux entrées. Pour leur éviter des problèmes, les habitants ont caché des gens dans leurs appartements. Beaucoup y ont passé la nuit, plusieurs dizaines de personnes dans l’appartement d’étrangers, avec la peur d’allumer la lumière ou de se trahir d’une autre manière. À la fin, les forces de sécurité ont frappé aux portes et ont exigé des habitants qu’ils leur livrent les manifestants. Par la suite, les gens ont comparé cette expérience avec la façon dont, pendant la Seconde Guerre mondiale, les Biélorusses ont caché des Juifs dans leurs maisons alors que les soldats nazis les recherchaient.

La mort de Bondarenko a intensifié encore plus les protestations, y compris celles du personnel médical. Plus de 200 000 personnes ont participé à un vote en ligne sur le choix de nouvelles tactiques de protestation. Les protestations locales, dans les districts, l’ont emporté. Ainsi, en l’absence d’un grand point de rassemblement, les forces de l’ordre officielles sont inefficaces lorsqu’il s’agit de contrer des centaines de manifestants dans tout le pays, en même temps.

Les protestations biélorusses ont accueilli le froid de l’hiver avec crainte, mais elles sont loin d’être brisées.

Newsletter de Liber-thé

Des articles, des études, toute l'actualité libérale dans notre newsletter. Une fois par mois.
Je m'inscris
close-link