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Au commencement du féminisme, la liberté

Les récits de la Liber-thé sont des séries d’articles dans lesquels des rédacteurs de toute la francophonie nous parlent de la liberté sous ses diverses facettes. Dans cette série, Louise Alméras nous plonge au sein des divers courants féministes et des relations qu’ils entretiennent avec le libéralisme. Premier épisode : Au commencement du féminisme, la liberté.

Le mouvement féministe évolue depuis deux siècles maintenant. Son apparition en Europe remonte à un siècle. Depuis son émergence officielle, le féminisme a tâtonné, conquis des territoires, fait des pas en avant et rarement en arrière ; il s’est aussi contredit, a bifurqué parfois, à cause de la naissance de plusieurs féminismes, libéral, socialiste ou encore différentialiste. Jusqu’à faire débat du terme même de féminisme, tant ses courants divers ont essaimé. Quoi qu’il en soit, le féminisme renvoie le plus souvent à l’extension des droits des femmes et à celle de leur place dans la sphère publique. Ainsi, le mot qui semble le définir le mieux aujourd’hui serait : égalité. Et le choix de ce mot n’est pas sans conséquences. Pourtant, son vrai pilier serait plutôt celui de la liberté. L’émancipation de la femme rimant avec une plus grande liberté.

John Stuart Mill, penseur libéral anglais, fut l’un des premiers défenseurs de la liberté de la femme, en proposant à la Chambre des communes le droit de vote féminin, au milieu du XIXe siècle. Sans succès, il expose en 1869 son propos — véritable hommage à la liberté de la femme — dans son ouvrage L’asservissement des femmes pour alerter sur la forme d’esclavage que subit le sexe dit faible à cette époque. Il y met en regard la théorie et l’expérience. La première étant la source du modèle social où l’homme domine et qu’il décrit comme un «régime de l’inégalité» qui n’a «jamais été le résultat de la délibération, de la pensée libre, d’une théorie sociale ou d’une connaissance quelconque des moyens d’assurer le bonheur de l’humanité ou d’établir dans la société le bon ordre». L’expérience favoriserait un système où la femme ne serait plus soumise à l’homme, où elle «prendrait part dans les affaires publiques» et ne serait plus «astreinte, dans la vie privée, au nom de la loi, à obéir à l’homme auquel elle a uni sa destinée».

Au droit de vote, finalement acquis, a succédé la libération des mœurs au nom de l’égalité, dont l’apogée fut un plus grand accès au monde du travail. Cette entrée de la femme dans l’espace public et professionnel va ainsi crescendo. Et cela va très vite. Les devoirs traditionnels des femmes et des hommes se voient d’un coup renversés par ce nouveau paradigme : la femme peut être libre et indépendante. Cette émergence des droits acquis se trouve alors confrontée au rôle des femmes dans la société et, plus concrètement, à leur «mission biologique». Une gageure pas toujours évidente à mettre en pratique et à allier à la liberté.

Fiodor Dostoïevski dans Les frères Karamazov doute que l’attribution de droits conduise dans tous les cas à la liberté : «Le monde a proclamé la liberté, ces dernières années surtout ; mais que représente cette liberté ! Rien que l’esclavage et le suicide ! Car le monde dit : «Tu as des besoins, assouvis-les, tu possèdes les mêmes droits que les grands et les riches. Ne crains donc pas de les assouvir, accrois-les même» ; voilà ce qu’on enseigne maintenant. Telle est leur conception de la liberté. (…) Car on a conféré des droits, mais on n’a pas encore indiqué les moyens d’assouvir les besoins. Dites-moi si un tel homme est libre». Le phénomène que l’on observe chez les femmes pourrait répondre à cette harangue du grand écrivain russe. C’est-à-dire que la confusion s’est faite progressivement entre droits exponentiels et liberté ; entre égalité et liberté. Une certaine forme de danger de la liberté sexuelle pour les femmes dans les années 1960-70 s’est fait sentir. Parce que les hommes, les jugeant libres, ont parfois oublié leurs devoirs et nié les besoins des femmes, tout comme elles les leurs ; pire, elles ne pouvaient que s’en prendre à elles-mêmes pour ce qui leur arrivait. On note par exemple que les vagues d’accusation de harcèlement sexuel ou de tout abus datant de cette époque ne sortent que maintenant ; leur impact et leur gravité ne sont perçus qu’aujourd’hui. C’est ce qu’a analysé l’auteure féministe Nancy Huston dans Reflets dans un œil d’homme, dans lequel elle dénonce également l’hypocrisie et la volonté de nier la différence entre les sexes en Occident, où la pornographie, principalement féminine, fait pourtant rage.

L’égalité entre les hommes et les femmes a aussi eu un impact symbolique, bien que très concret dans les changements de société. Il est intéressant d’aller voir du côté de la psyché pour explorer où cela peut aussi nous mener. Le psychanalyste Charles Melman, dans sa conférence La femme, ce chef-d’œuvre en péril, explique par exemple comment interchanger l’homme et la femme peut être néfaste pour la société. «Le chef-d’œuvre», selon lui, «est la conjonction du viril et de l’objet perdu» représenté par la femme. Cette coexistence est difficile, mais c’est justement le chef-d’œuvre qui «tente de l’accomplir», autrement dit la résolution.

« C’est justement ce qui pour nous est le sol, la matrice du chef-d’œuvre, qui se trouve aujourd’hui ainsi battu en brèche, disloqué, ou refusé, nié. On veut qu’une femme soit un homme comme un autre, et pourquoi pas d’ailleurs un homme une femme comme une autre ! Dès lors la symétrie peut aussi bien être exigée. Et nous nous retrouvons donc dans une situation embarrassée, parce que ce n’est pas seulement la femme qui est le chef d’œuvre en péril, mais c’est le chef-d’œuvre lui-même, dont nous ne savons plus très bien en quoi il peut consister ! »

Il en appelle donc à une juste place pour chacun, déplorant l’effacement du féminin et sa domination toujours à l’œuvre. Perte de repères, hésitation à savoir le juste équilibre entre masculin et féminin et le rôle de chacun : tout ceci provoque un certain aveuglement et les conséquences qui vont avec.

Liberté, donc. Pour chacun. Ce en quoi croit également la philosophe et figure de proue du combat féministe Elisabeth Badinter. Elle insiste sur le fait que «la liberté des femmes ne va pas sans celle des hommes. Et réciproquement». Selon elle, «la voie vers l’égalité est de mettre le phare sur ce qui nous unit et sur ce que nous avons en commun en tant qu’êtres humains». Car si l’égalitarisme a souhaité apporter plus d’équité, il a aussi introduit plus de rivalité dans les carrières professionnelles, notamment avec les quotas depuis l’introduction de la parité dans la Constitution française. Finalement, la liberté suppose bien plus la même responsabilité face aux droits que l’idée d’égalité, qui semble toujours renvoyer à une infériorité induite des femmes. Et c’est là que la liberté individuelle — tout aussi responsable — prend toute son importance et doit initier l’introduction de la liberté dans toute les sphères de la société, si l’on veut éviter l’écueil des enfermements idéologiques, qui ont pu provoquer la destruction de la carrière des femmes au foyer revenues sur le marché du travail, ou encore l’écart salarial entre les sexes. C’est sans doute le principe de liberté qui accorde l’égalité de traitement à tous et entre tous, au sens où une femme libre est censée être dégagée des cases dans lesquelles la société la maintient. Nous pouvons ainsi nous demander dans quelle mesure les droits des femmes ont augmenté ou réduit leur liberté. Et réfléchir de même à l’impact réel du féminisme sur l’évolution de la place des femmes dans la société. En effet, une certaine violence peut se faire sentir de la part de certaines féministes qui occultent une partie du féminin à force de singer la position patriarcale à l’égard des femmes.

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