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Fintech : la nouvelle génération d’applications de transfert d’argent, un soutien de taille pour des millions d’Africains

La tech, outil de la liberté en Afrique – Épisode 2

Dans cette série – La tech, outil de la liberté en Afrique – Marlène Panara s’intéresse à l’avènement des nouvelles technologies en Afrique qui permettent aux individus de répondre aux défaillances de l’État. Elle nous emmène dans différents pays du continent africain, à la découverte de solutions créatives et libératrices dans les domaines de la santé, de l’agriculture, de la mobilité, de la Fintech et de l’enseignement.


Printemps 2014. Cela fait exactement vingt ans que Louis-Antoine Muhire a quitté son pays natal, le Rwanda, à cause du génocide. Et dix que cet ancien commercial, employé de police à Montréal, au Québec, envoie chaque mois de l’argent à sa famille restée au pays. Des versements que ses cousins, ses tantes ou ses oncles reçoivent en cash, via des virements opérés depuis les plateformes des mastodontes du secteur, comme Western Union ou MoneyGram. Mais en ce début d’année 2014, Louis-Antoine Muhire fait un triste constat : malgré son soutien financier sans faille, une décennie plus tard, rien n’a vraiment changé pour la famille. «Vous pouvez envoyer jusqu’à 1’000 dollars par mois, vos proches restent toujours pauvres», déplore-t-il.

Alors le jeune homme cherche des réponses. «J’ai réfléchi au procédé en lui-même. Quand la famille reçoit du cash, elle l’utilise souvent pour les petites dépenses du quotidien. Sur le coup, cet argent dépanne bien, et soulage le foyer. Mais il faut voir plus loin. Au lieu de régler ses courses, ou de s’acheter un nouveau téléphone, pourquoi ne pas épargner pour payer, quelques années plus tard, les études supérieures des enfants ?».

Le concept de sa future société est né : proposer à la diaspora rwandaise où qu’elle soit dans le monde une plateforme de transferts d’argent, sur le modèle «cash to good». Au lieu d’envoyer de l’argent que le destinataire perçoit en liquide, l’utilisateur peut régler directement en ligne les frais de scolarité, des médicaments, les factures d’électricité, ou du crédit téléphonique. Le tout, grâce à des partenariats conclus avec des organisations basées dans le pays. Ce qui garantit aux membres de la diaspora l’assurance que les sommes qu’ils envoient à leurs proches ne sont pas détournées de leurs objectifs initiaux, et qu’elles sont utilisées à bon escient. Un business model qui permet à la plateforme de se rémunérer, en plus des frais de commission et des revenus tirés de la publicité.

«La législation n’a pas suivi»

Pour concrétiser son projet, Louis-Antoine Muhire décide alors de rentrer au Rwanda, et lance Mergims. Le succès est immédiat, d’abord auprès des investisseurs. Lors de sa première levée de fonds, la société réunit près de 350’000 dollars. Et les utilisateurs sont eux aussi vite séduits par la nouvelle firme, qui ne prélève que 5% de commission. La concurrence, elle, perçoit le double, à près de 10% en moyenne. Soit les frais de transfert d’argent les plus chers au monde, d’après de nombreux rapports de la Banque mondiale.

La première année, près de 1000 transactions sont effectuées via Mergims, chaque mois.  « Un bon début », pour son fondateur, qui ne veut pas en rester là. Alors l’entrepreneur enchaîne les rendez-vous avec de potentiels investisseurs au Rwanda, mais aussi en Suisse ou au Luxembourg. Tous sont convaincus par Mergims. Mais tous préfèrent ne pas s’y aventurer quand Louis-Antoine Muhire reconnaît les failles de la réglementation censée régir le secteur. «À l’époque la loi rwandaise relative à la régulation était obsolète. Malgré le boom du secteur, la législation n’a pas suivi», déplore-t-il. Le chef d’entreprise tente alors de négocier des prêts auprès des banques rwandaises. «Je commençais par présenter Mergims, ‘une société du secteur de la fintech’. On me répondait : la fin quoi ?».

Sans nouveaux investissements, la société peine à se maintenir à flot. En mars 2018, Louis-Antoine Muhire jette l’éponge. Malgré «toute la bonne volonté du monde, si la sécurisation de votre plateforme n’est pas optimale, c’est mission impossible. Il faut que le procédé soit sûr, et contrôlé», assure-t-il aujourd’hui.

Un outil sécurisé pour les utilisateurs

L’assurance d’un service sécurisé est une des clés de la réussite de Wizall Money, une application spécialisée dans les paiements électroniques basée au Sénégal. Lorsqu’ils se sont lancés en 2015, ses co-fondateurs Sébastien Vetter et Ken Kakena, anciens prestataires d’Orange Money en Afrique francophone, se sont appliqués à élaborer «un outil technologique le plus fiable possible», pour «obtenir la confiance des investisseurs mais aussi des utilisateurs». «C’est vraiment un point très important pour tenir dans la durée», explique Sébastien Vetter. Régulée par la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO), l’application a séduit le géant pétrolier Total, qui y a investi trois millions d’euros.

Aujourd’hui, la société compte près d’un million d’utilisateurs répartis au Sénégal, mais aussi en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso et au Mali depuis 2019. Grâce à l’entrée dans son capital du groupe marocain BCP fin 2018, Wizall Money sera bientôt accessible aussi au Togo et au Bénin. Ses futurs utilisateurs pourront, comme les usagers de Wizall ailleurs, toucher leur salaire, leur bourse d’étudiant ou leurs aides sociales via l’application. Au Sénégal, près de 200’000 familles dans le besoin ont d’ailleurs déjà reçu les «fonds Covid» versés par l’État. Et ce, via un procédé sécurisé, exempt de cash. Et donc, des risques et des coûts liés à sa circulation.

Au Rwanda, depuis la fermeture de Mergims, l’environnement des affaires a évolué. «Il y a désormais des services digitaux qui n’existaient pas il y a quatre ans, assure Louis-Antoine Muhire. Et le Parlement planche sur une loi pour encadrer la digitalisation dans la finance. Alors je suis très optimiste pour l’avenir». L’ancien entrepreneur pense même à «se lancer de nouveau dans l’aventure». Avec, pour ses futurs clients, «des services qui pourront vraiment leur être bénéfiques à long terme, comme la possibilité de financer, via un service numérique, des assurances-vie pour leurs grands-parents», confie-t-il.

Un service bienvenu dans des pays où le taux de bancarisation reste très faible. En Afrique subsaharienne, une personne sur deux seulement est concernée. Et en Afrique centrale, selon un rapport de la Banque européenne d’investissement, le taux de bancarisation stagne même à 15 %. Alors Antoine-Louis Muhire l’assure : dans ce contexte, «la fintech ouvre, pour les Africains, tous les champs des possibles». Son développement a, par la même occasion, boosté la créativité des jeunes entrepreneurs, stimulés par un secteur en pleine effervescence. Les applications de transfert d’argent nées lors de la dernière décennie ont su se distinguer des services historiques, permettant l’émancipation financière de millions de personnes à travers le continent.

À l’image de la fintech, des innovations technologiques apparaissent et bouleversent, depuis quelques années maintenant, l’agriculture africaine. Comment l’agritech et ses réalisations épaulent-elles désormais les exploitants du continent ? Un sujet à lire dans le prochain épisode de notre série dédiée à l’Afrique. 


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